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Retraites : à quoi ont droit les étrangers en France ?

À l’heure des remous sociaux en France autour de la réforme des retraites, InfoMigrants fait le point sur la situation des travailleurs étrangers. À quoi ont-ils droit en fonction du temps passé en France et de leur pays d’origine ? Et comment se protéger d’éventuelles anomalies dans le calcul de sa retraite ?

La France est agitée par des débats et des manifestations contre la réforme des retraites portée par la Première ministre Elisabeth Borne, qui prévoit un report de l’âge de départ à 64 ans. Mais qu’en est-il des mesures concernant les travailleurs étrangers ?

En 2019, année la plus récente enregistrée dans les données de l’Insee, ces derniers étaient un peu plus de 1,7 million à exercer un emploi dans l’Hexagone (on comptait alors 24,8 millions de travailleurs de nationalité française). À quoi ces personnes peuvent-elles prétendre pour leurs vieux jours ?

Éclaircissements et conseils avec Antoine Math, chercheur spécialisé dans la protection sociale à l’Institut de recherches économiques et sociales et membre bénévole du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).

InfoMigrants : En termes de retraite, un travailleur étranger et un travailleur français peuvent-ils prétendre aux mêmes choses en France ?

Antoine Math : En ce qui concerne la retraite contributive

, on peut dire que c’est un des rares domaines de la protection sociale où, formellement en droit, les étrangers sont traités quasiment à égalité avec les nationaux.

Une seule inégalité existe : au moment où une personne étrangère demande sa retraite, il faut qu’elle justifie de la régularité de son séjour. Elle peut avoir cotisé pendant 40 ans, si, à ce moment précis, elle n’a pas de titre de séjour, quelle que soit la raison, elle ne touchera pas de retraite.

Attention, toutefois : quand je dis qu’il y a une égalité de droit à la retraite, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’énormes inégalités dans la pratique. Les étrangers, pour plein de raisons, ont des retraites beaucoup plus faibles que les nationaux.

Quelles sont les raisons de ces différences ?

La retraite, c’est l’aboutissement de la vie, de tout ce que vous avez fait. Cela prend en compte votre travail, bien-sûr, mais aussi vos enfants, vos maladies, les discriminations que vous avez subies, le temps partiel, le chômage. Cela cristallise l’ensemble de toute la vie d’un adulte. Or, les étrangers ont des parcours particuliers.

On sait par exemple qu’ils sont surreprésentés dans les emplois précaires, notamment en ce qui concerne les ouvriers non qualifiés. Il y a beaucoup d’étrangers avec des carrières hachées, incomplètes et de faibles salaires. Tout cela va se manifester sur leurs retraites.

Le déclassement que subissent les étrangers sur le marché du travail en France est une autre raison. Leurs salaires d’embauche sont plus faibles, et les licenciements sont plus fréquents au sein de cette catégorie de population. Les conditions de travail sont par ailleurs souvent plus difficiles dans les secteurs qui emploient des étrangers, et peuvent conduire à davantage de maladies ou même à des situations de handicap. Il y a également des discriminations à l’embauche, et des discriminations en cours de carrière (lorsqu’un salarié étranger n’est pas promu, par exemple).

Une manifestation contre la réforme des retraites à Nice, le 7 février 2023. Crédit : Reuters
Une manifestation contre la réforme des retraites à Nice, le 7 février 2023. Crédit : Reuters

On sait aussi que, dans certains secteurs qui emploient nombre d’étrangers en France, comme le bâtiment, les employeurs indélicats ne sont pas rares et les étrangers, malheureusement, ne connaissent souvent pas leurs droits. Il arrive que les employeurs ne paient pas les cotisations retraites, ce qui fait que leurs employés, quand ils atteignent l’âge de la retraite, se rendent compte qu’il leur manque un, deux, trois ans, parfois plus, dans leur relevé de carrière (c’est un document qui récapitule les droits acquis depuis le début de votre carrière, ndlr). Ils s’aperçoivent alors que les cotisations n’ont pas été versées, ou pas complètement, par leur employeur. Et, dans ces cas-là, une fiche de paie ne vaut pas preuve de travail et ne permet pas de rattraper le coup.

Que faut-il faire pour éviter ces situations ?

Quand on travaille, il faut se poser cette question : suis-je sûr.e que mon employeur verse des cotisations ? Il est possible de demander à l’Urssaf, ou à la caisse de retraite de Sécurité sociale française (CNAV) le relevé de carrière. Il ne faut pas attendre d’avoir 50 ans pour s’occuper de ça. Il faut aussi faire attention aux fiches d’impôts pré-remplies : si vous constatez une anomalie dans le montant pré-renseigné, c’est qu’il y a un problème.

Au moment où vous décelez un problème, vous pouvez vous retourner contre l’employeur qui n’a pas payé vos cotisations et intenter si besoin une action en justice avec un avocat. Ce n’est pas évident. Dans certains cas, toutefois, l’employeur n’existe plus (l’entreprise a fermé, etc.).

(Ces conseils valent aussi pour les travailleurs sans papier qui travaillent pour un employeur légal, souvent sous une fausse identité, ndlr.)

En terme de retraite, à quoi peut prétendre un étranger arrivé en France en milieu (voire fin) de carrière et qui ne peut donc pas justifier d’une carrière entière en France ?

Un étranger arrivé sur le territoire français à l’âge adulte, ou à un âge avancé, n’aura pas travaillé suffisamment en France pour pouvoir avoir une retraite à taux plein. Mais si cette personne a travaillé dans d’autres pays avant d’arriver en France, cette activité peut être prise en compte au moment du calcul de la retraite, à condition que le pays où cette activité a été exercée ait passé des accords en ce sens avec la France.

Photo prise sur un chantier de construction parisien, en septembre 2016. Crédit : Aurélien Meunier/Getty Images
Photo prise sur un chantier de construction parisien, en septembre 2016. Crédit : Aurélien Meunier/Getty Images
[Outre les pays de l’UE, l’Islande, le Lichtenstein, la Norvège, et la Suisse, la liste des pays possédant cet accord avec la France sont les suivants : Algérie, Andorre, Argentine, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Brésil, Cameroun, Canada, Cap-Vert, Chili, Congo, Corée du Sud, Côte-d’Ivoire, Etats-Unis, Gabon, Îles anglo-normandes, Inde, Israël, Japon, Kosovo, Macédoine, Mali, Maroc, Mauritanie, Monaco, Monténégro, Niger, Philippines, Québec, Saint-Marin, Sénégal, Serbie, Togo, Tunisie, Turquie, Uruguay, ndlr].

Si accord il y a, les périodes travaillées dans d’autres pays peuvent être prises en compte mais il s’agira simplement d’une atténuation des pertes financières. Il ne faut pas idéaliser ce dont je parle : vous allez être pénalisé quand même si vous n’avez pas une carrière complète en France.

Les personnes ayant de faibles ressources et vivant en France peuvent bénéficier de l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) [le montant de l’Aspa dépend des revenus et du patrimoine. Il s’ajoute, dans une certaine limite, à vos revenus personnels, précisent les services du gouvernement, ndlr]. Pour en bénéficier, les étrangers doivent justifier de façon continue depuis au moins 10 ans d’un titre de séjour autorisant à travailler.

[Les réfugiés statutaires, les bénéficiaires de la protection subsidiaire, les apatrides, les anciens combattants y ont par ailleurs droit sans la condition de 10 ans de titre de séjour. Grâce à des traités internationaux, les Algériens, les Tunisiens, les Marocains, les Maliens, les Togolais, les Gabonais et les Béninois peuvent y eux aussi y prétendre sans cette condition, ndlr.]

 

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