SOCIETE / FAITS DIVERS

Routes endommagées par les pluies à Dakar : Le tumultueux voyage des chauffeurs

Après les fortes pluies des dernières semaines, c’est la galère chez les chauffeurs, avec les nombreuses artères de la capitale sous les eaux. À cela, s’ajoutent les multiples crevasses à éviter au risque de tomber en panne. Pour mettre fin à ce calvaire, l’Ageroute Dakar, a, selon son Directeur Babacar Senghor, entamé les travaux d’entretien avec un budget de près de 5 milliards de FCfa.

Le soleil intolérant de ces derniers jours n’a pu sécher les eaux pluviales qui envahissent certaines artères de Dakar. À la zone de captage, la situation est aggravée par les rejets de quatre égouts. Les eaux noires et puantes convergent au terrain de football, qui constitue l’un des plus bas points du quartier. Ces eaux usées et pluviales ont colonisé une bonne partie du goudron, transformant en moments de galère les journées des chauffeurs de particuliers ou de transports en commun. Visage suant, mains agrippées sur le volant, Abdourahmane Seck est contraint à un temps d’arrêt à hauteur de la pharmacie. À l’aise sur le fauteuil de sa voiture basse, il n’a pas trop le choix. Les stratégies pour contourner les flaques d’eau se bousculent dans sa tête. Après des secondes de réflexion, ils jalonnent entre les crevasses. Tantôt il lève le pied, tantôt il accélère au risque d’occuper tous les mètres du trottoir. Il passe avec succès l’obstacle de la dizaine de nids de poule. L’autre exercice pour lui, est la traversée de l’étendue d’eau, d’une centaine de mètres.

Mais Abdourahmane n’ose pas s’engager. Il choisit l’option du contournement, derrière le terrain de football, entre les maisons et espaces de commerce. Un parcours du combattant qu’il vit matin et soir depuis quinze jours, dans plusieurs artères de Dakar et sa banlieue. «C’est dur d’être chauffeur à Dakar. Plusieurs routes sont inondées. Je préfère braver les crevasses plutôt que de traverser les eaux. C’est une grande menace pour nos roues», dit l’homme au corps svelte, passant la serviette sur le visage, en attendant une dame qui vient de lui faire un signe de la main. Voyant arriver deux autres véhicules bas, Abdourahmane passe le code : «C’est risqué les gars. Je vous conseille de contourner ces eaux à travers les ruelles». Ses consignes sont suivies par un de ses camarades taximen et deux véhicules particuliers. Pendant ce temps, 4×4 et bus «Tata» foncent dans la plus grande insouciance rejetant de fines gouttes aux pieds des mécaniciens et petits vendeurs qui ne cessent de râler. «Hé, tu es fou ou quoi? Tu oses accélérer pendant que tout le monde lève le pied », crie l’un d’eux à un chauffeur de Tata. Témoin de cette ambiance tendue, un conducteur qui vient de garer un Peugeot 308 devant un atelier de couture, rigole, avant de glisser quelques commentaires. «Pour avoir quitté Colobane, j’avoue que ce n’est pas facile de conduire dans la ville actuellement, nous souffrons tous», lâche Alassane Kama, tout sourire, frappant le portail de sa voiture.

La banlieue n’est guère épargnée par ces désagréments. Sous une matinée ensoleillée, Guinaw Rails-nord est plongée dans une effervescence. Charretiers et chauffeurs se disputent la chaussée à coups de klaxon. Contrairement à la zone de captage, cette partie de la banlieue ne souffre plus des inondations. Les eaux ont été évacuées grâce au système d’évacuation. Toutefois, les stigmates sont toujours visibles. Il s’agit des nombreuses crevasses à surmonter pour les chauffeurs. L’un d’eux, mains tachées d’huile de moteur, aide sa cliente à charger dans la malle deux seaux de légumes. Les pluies sont synonymes de galère, selon lui. «Une partie du goudron est en train d’être réfectionnée. Nous souffrons énormément avec les nids de poule. Il nous faut 30 mn pour le petit trajet entre la Poste et le marché Thiaroye», déplore Ousmane Faye. Une frustration partagée par ses deux camarades Ousseynou et Aliou Mbaye.
Une croix sur certaines destinations.

Les dégâts des fortes pluies n’ont pas épargné la Route nationale n°1. En cette matinée de mercredi, la circulation est fluide sur la voie Dakar-Rufisque. Cependant, les chauffeurs qui roulaient à vive allure sont obligés de lever le pied à hauteur de Petit Mbao. C’est la stratégie adoptée pour ne pas bondir sur les flaques d’eau ou les crevasses qui rétrécissent la chaussée. Devant cette situation, le chauffeur d’un des bus de la ligne 69 a choisi de longer le trottoir. C’est pour éviter les dysfonctionnements pneumatiques selon Gora, un pneumaticien établi non loin de l’arrêt bus. «On peut dire que la situation s’est améliorée. Il y a une semaine, cette route était impraticable. Avec les crevasses, les chauffeurs sont obligés d’emprunter les ruelles pour contourner les obstacles et sauver leurs pneus», témoigne-t-il, gonflant une chambre à air. Depuis le début de l’hivernage, le taximan Alassane Niang a mis une croix sur certaines artères de Dakar. Quitte à repousser d’intéressantes offres. Adossé à la portière de son véhicule en attendant le service de son pneumaticien, l’homme de forte corpulence dévoile ses «sens interdits». «J’évite autant que possible des quartiers comme Diamaguene, Sicap Mbao, Thiaroye, Pikine et même Yeumbeul. C’est un vrai parcours du combattant. Je préfère rentrer les mains vides plutôt que de traîner une panne de moteur », explique-t-il. L’hivernage n’est pas propice à toutes les destinations, selon un des chauffeurs du garage de taxi-clandos de Petit Mbao. Avec les inondations endommageant plusieurs artères de la banlieue, Ousmane Guèye a décidé d’éviter les zones à risque. «Je prends toutes mes dispositions. Je viens de refuser une course pour Keur Massar. Je n’ai même pas cherché à marchander », confie-t-il.

Ce choix des chauffeurs porte préjudice aux clients. Habitant à quelques mètres du stade de Mbao, Aïssatou Ndiaye en a fait les frais il y a quelques jours. Voulant quitter Colobane pour son quartier, la dame en robe wax, sac noir en main, a du attendre près de quatre tours d’horloge. «Un chauffeur m’a dit sèchement qu’il ne pouvait pas se rendre dans cette zone», regrette-t-elle, le visage pâle. « Même les bus de la société Dakar Dem Dikk avaient suspendu leurs lignes de la banlieue», ajoute-t-elle. S’il faut faire le grand tour pour éviter les eaux, Mamadou Niang n’hésitera pas. Délégué médical, il rentre à Keur Mbaye Fall tous les soirs. Avec les inondations, il dit prioriser l’autoroute à péage. «Je suis un chauffeur débutant, je ne prends pas de gros risques. Je n’ai pas encore les capacités pour négocier les crevasses et les eaux stagnantes», dit-il, debout dans une station de pompage à la zone de captage.
Des pannes récurrentes.

L’atelier mécanique de Pape Ndiaye, sis à Guinaw Rails-nord, est bien garni en cette matinée de mercredi. Deux cars rapides, deux cars «Ndiaga Ndiaye» et cinq véhicules particuliers attendent d’être diagnostiqués par les différents groupes. À l’aise dans un fauteuil posé au milieu d’une tente, Mamadou Sagna observe les manœuvres des mécaniciens. Depuis près de quinze jours, son expert automobile ne cesse de lui signaler des pannes. Tantôt c’est le moteur, tantôt le cardent ou la boîte à vitesse. Ces anomalies sont liées, selon lui, au mauvais état des routes, conséquences des inondations. «En quinze jours, j’ai dépensé 55.000 FCfa en réparations. Sans compter la batterie à changer», informe le chauffeur de taxi clando au garage de Thiaroye. Son camarade chauffeur de car, Assane Mbaye, embouche la même trompette. Yeux rivés sur le travail des mécaniciens démontant les roues de son véhicule, le bonhomme se plaint des récurrentes pannes. «Je fais la navette entre Colobane et Thiaroye. Avec les inondations et les crevasses, je change de pneus presque chaque semaine. Les petites pièces de rechange, n’en parlons même pas. Je peux facilement dépenser près de 15 000 FCfa dans ce contexte économique compliqué », dit-il. Son interlocuteur et propriétaire du garage, Pape Ndiaye lui ne se plaint pas trop. Le malheur de ses clients fait son bonheur. Avec des routes désastreuses, ses visites doublent. Des billets de plus rangés dans son portefeuille chaque soir.

Une enveloppe de 5 milliards de FCfa pour Dakar

Cette année, l’Etat, à travers le Fonds d’entretien routier (Fera) a dégagé une enveloppe de 30 milliards F Cfa pour l’entretien des routes, dont 5 milliards pour la région de Dakar pendant l’hivernage.

Selon le Directeur de l’Agence des travaux et de gestion des routes au Sénégal (Ageroute) Dakar, Babacar Senghor, les équipes sont à pieds d’œuvre pour remettre à niveau le réseau. «Nous avons démarré un grand programme d’entretien. Mardi nuit, nous avons travaillé sur Colobane, avec un nouveau revêtement. C’est aussi le cas pour la rocade Hann Bel-Air et l’avenue Cheikh Ahmadou Bamba. Dans la semaine, nous allons attaquer l’avenue Bourguiba et nous déployer à la banlieue», a promis M. Senghor.

«Le groupement d’entreprises Henan Chine-Ecotra est en train de dérouler ce programme. Les travaux ont même commencé à Grand Yoff, devant l’hôpital général Idrissa Pouye », a-t-il précisé. Ce phénomène est, dit-il, aggravé par les eaux usées qui se mêlent aux eaux de pluie. «Quand il y a stagnation d’eau, cela crée quelques problèmes sur la route. Surtout qu’en plus des eaux pluviales, nous avons des eaux usées très chargées incompatibles avec le goudron», a expliqué le Directeur d’Ageroute Dakar. L’autre problème soulevé est le remblaiement de certaines artères par des populations, qui bouche souvent les voies d’évacuation.

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