Rwanda-Sénégal, dialogue critique entre deux modèles
Yoro DIA – Sur la nouvelle vague de coups d’Etat qui secoue le continent (Tchad, Mali, Guinée), on n’aura pas beaucoup entendu le Président du Rwanda, Paul Kagamé. C’est somme toute normal. Il n’est pas le plus légitime pour parler de démocratie là où il faut prêcher par l’exemple.
Kagamé veut prouver qu’il y a plus «d’affinités électives» entre dictature et croissance, à l’image de la Chine, alors que le Sénégal a opté pour l’autre exemple, c’est-à-dire prouver que la croissance peut aussi avoir des affinités avec la démocratie, comme le prouvent le modèle indien (la plus grande démocratie du monde) et les démocraties occidentales auxquelles l’histoire a donné raison, avec l’effondrement du bloc de l’Est ou le face-à-face entre les deux Corées.
Aujourd’hui, le Sénégal et le Rwanda sont les deux modèles comparatifs qui «s’opposent» sur le continent. Naturellement les régimes des colonels de Bamako et de Conakry vont recruter l’exemple rwandais du Général Kagamé pour légitimer leur ambition politique (ordre, sécurité comme prérequis de la croissance) alors que leur opposition politique va montrer le modèle comparatif sénégalais qui génère aussi de la croissance dans la liberté et la démocratie.
Et faut-il le souligner, le modèle sénégalais a un avantage absolu : c’est un système, donc n’est pas lié au destin d’un homme. Je suis de ceux qui pensent que Kagamé, contrairement à Alpha Condé, voulait et veut partir, mais il est conscient que le Rwanda c’est lui, et que son modèle risque de ne pas lui survivre. Malheureusement pour le Rwanda, il n’est pas immortel. Le Rwanda a un Homme, un Surhomme. Le Sénégal a un système.
Un système tellement solide et tellement impersonnel qu’il nous permet d’élire un Président, de l’installer une semaine après et qu’il préside la Fête nationale sans couac. Un système tellement solide et impersonnel que l’ancien aide de camp de Wade ait pu devenir chef d’Etat-major particulier de Macky Sall. Un système tellement impersonnel que Bruno Diatta a pu servir tous les présidents de la République. Entre les hommes et un Système (institutions) il est toujours plus sage de choisir le système.
Le miracle économique éthiopien qui était trop lié à Meles Zenawi est en train de sombrer dans la guerre ethnique et la désintégration. Fatalement, c’est pour éviter ce spectre qui hante le Rwanda que Kagamé est obligé de se «maintenir contre vents et marées», comme aurait dit Goethe. Le fait que Macky Sall prend la présidence de l’Ua deux ans après Kagamé est tout un symbole.
En 2022, l’une des problématiques essentielles auxquelles notre continent fera face, sera la question de la restauration démocratique en Ethiopie, au Mali, en Guinée, au Tchad et d’autres pays où les colonels pourraient faire de émules car, depuis la succession militaro-dynastique du Tchad, le coup d’Etat n’est plus un tabou car les militaires ont compris qu’une légalisation et une légitimation a posteriori est toujours possible.
Après le sommet de la Baule et les conférences nationales, les coups d’Etat avaient presque disparu car jetés dans les poubelles de l’histoire par la vague démocratique. Aujourd’hui nous sommes revenus plus de cinquante ans en arrière avec la banalisation des coups d’Etat.
En 2022, quand Macky Sall prendra la présidence de l’Union africaine, la question de la restauration démocratique sera à côté de celle du jihadisme terroriste, parmi les enjeux de sa présidence, et sur ces questions, la voix du Sénégal est audible. Sur ces deux questions, l’exception sénégalaise tient son rang et bat en brèche les thèses culturalistes et racistes qui veulent que l’Afrique ne soit pas mûre pour la démocratie qui aussi ne serait pas non plus, soluble dans l’islam.
Le Sénégal prouve le contraire et devient ainsi un contre-exemple pour les jihadistes, les putschistes et les partisans d’une société fermée. «Il n’y a point de bon vent pour celui qui ne sait pas naviguer», disait Sénèque. En tout cas, les vents sont très favorables pour une grande présidence sénégalaise de l’Ua, si le Timonier comme Ulysse, manœuvre bien pour nous mener vers une Pax Africana qui n’est possible qu’avec la démocratie, car le modèle de l’Ue montre que les démocraties ne se font pas la guerre, qu’elles remplacent par le business.
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