SÉNÉGAL, ENTRE REFUS DES RÈGLES ET ANARCHIE

Etant sénégalais de l’extérieur vivant en Europe, je souffre de l’éloignement de ma mère patrie, j’ai besoin de me retrouver sur les lieux de ma naissance, sentir l’atmosphère chaleureuse de ma petite enfance, les copains de quartiers, les parents, les odeurs qui nourrissent mes souvenirs.
Mon gros souci, est que je commence à assimiler l’ordre, le respect, le droit des usagers l’organisation dans les lieux d’accueil du public. Dans ce pays extraordinaire, dès l’aéroport, je constate déjà que les passe-droit sont monnaie courante. Un policier sans état d’âme fait passer son «protégé» au vu et su de tous. Ce n’est pas la règle, mais c’est comme ça.
D’autres travaillent d’arrache-pied pour nous permettre de rentrer rapidement chez nous pour retrouver les nôtres. Sur l’autoroute, la bande d’arrêt d’urgence est le terrain de jeu des cyclomoteurs, parfois tractés par d’autres pour se rendre chez le garagiste situé parfois à Dakar. Des voitures y circulent pour aller plus vite. Les conduites à risque sont la règle, le code de la route une tolérance. Le danger est permanent, mais «Yalla Bakhna» Dieu est bon, mais il sait reconnaitre les tendances suicidaires. Bienvenue au pays des immortels. Ma nuit fut agitée car, j’avais tellement envie de retrouver les miens et l’ambiance indescriptible de Dakar.
Le jour suivant, je décide d’envoyer des belles cartes postales à mes amis français afin qu’ils aient envie de visiter ma chère patrie que je n’arrêtais de leur «vendre». Je me dirige vers le centre-ville avec ferveur et me retrouve au bureau de poste aux murs défraichis, sans clients et, derrière les guichets, trois employés dont les yeux sont rivés sur leurs téléphones portables.
Connaissant bien mon pays, je me dirige vers celle qui me semblait sympathique et je lui dis «Bonjour Madame», je n’ai pas entendu sa réponse. J’ai oublié que la courtoisie et le sourire sont des options. Je lui demande trois timbres pour la France. «Nous ne vendons pas de timbres le samedi», me répond-elle laconiquement. Je vous garantis que je croyais que c’était une blague. Pas de timbres, le samedi … J’ai failli répondre : «les timbres c’est à quelle heure lundi ?». Je me suis retenu car j’ai peur qu’elle me repère et qu’elle me fasse le coup des timbres qui sont en rupture durant toute la semaine suivante. Le lundi, je décide d’ouvrir un compte dans un établissement bancaire. Je fus reçu par une employée en présence d’une personne dont j’ignore la fonction ou le lien de parenté avec la banquière : nièce, cousine, stagiaire ou amie…
Notre pseudo conversation est entrecoupée par des communications téléphoniques permanentes et bien entendu, non professionnelles. Je me suis rappelé que durant ma formation sur le droit du travail et management de cette définition du travail : «le temps de travail effectif est la période au cours de laquelle, le salarié est à la disposition de son employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles».
Foutaises ! Ces juristes de droit social ne connaissent pas le Sénégal. Ici, on est au pays de la douceur de vivre au travail. No stress… Notre sympathique banquière me décrit oralement les documents que je dois fournir pour l’ouverture d’un compte courant. N’oubliez pas que je vous disais que je connais bien mon pays … je lui demande s’il n’y a pas autre chose, elle me répond : «Normalement, non». Le terme «normalement» m’éveille des soupçons ; elle finit par fouiller dans ses dossiers pour me remettre une plaquette contenant une liste exhaustive des documents à fournir. J’étais fier de moi, ce n’était pas une banquière qui va me faire perdre mon temps.
Avec la pandémie, des situations deviennent hallucinantes : Lors d’un achat de pain dans une boulangerie, je constate qu’un employé ne portait pas de masque; je lui rappelle que le masque est obligatoire; il me répond «oui» … sans remettre le sien. Il insinue que chez lui, le client n’est pas roi. Intérieurement, il doit dire : «Celui-là c’est un «toubab» (un blanc). C’est connu, les noirs ne meurent pas de Covid. Les contrôles de police routière sont monnaie courante au Sénégal.
J’avoue que la très grande majorité des agents ont été très professionnels. Par ailleurs, un seul agent m’a fait le coup du : «Werbi sorina» (voulant dire que la fin du mois est difficile financièrement), avec un air familier. Je lui réponds que tous les mois sont longs, il y en a même qui sont plus longs que d’autres. Il sourit et me rend sympathiquement mes papiers. Malgré ce regard désabusé, les sénégalais sont formidables, avec leurs paradoxes, leurs fourberies, leur joie de vivre et leurs sens de l’accueil…
Ils sont très difficiles à définir. Nous pouvons dire qu’ils sont conservateurs et anarchistes. Nous reviendrons souvent au Sénégal car, il y a autre chose d’indéfinissable qui attire dans ce pays envoutant.