POLITIQUE

SENEGAL : KARIM WADE ET BIBO BOURGI OBTIENNENT GAIN DE CAUSE A MONACO

L’État sénégalais a été débouté par la justice monégasque de sa demande visant à faire main basse sur les comptes bancaires des deux hommes, condamnés pour enrichissement illicite.
Plus de six ans après leur condamnation définitive au Sénégal, respectivement pour enrichissement illicite et pour complicité de ce délit, l’ancien ministre Karim
Wade et l’homme d’affaires Ibrahim Aboukhalil, alias Bibo Bourgi, viennent de remporter une manche décisive devant la justice monégasque. Dans une décision rendue ce 14 octobre, la Cour de révision – la plus haute juridiction monégasque – a en effet débouté définitivement l’État sénégalais de sa demande visant à obtenir la saisie des sommes contenues sur leurs comptes bancaires logés dans la principauté.
Depuis 2015, se prévalant de l’arrêt rendu à Dakar par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) contre Karim Wade et sept autres personnes condamnées pour complicité, l’État sénégalais s’efforçait de faire main basse sur les sommes déposées sur une trentaine de comptes bancaires domiciliés à Monaco, dans les livres de la banque Julius Baer. Dès 2013, à l’entame de la procédure sénégalaise pour enrichissement illicite, Dakar avait d’ailleurs obtenu le gel provisoire desdits comptes au titre de l’entraide pénale internationale.
Une très lourde amende
Outre leur condamnation à des peines de prison (6 ans pour Karim Wade et 5 ans pour Bibo Bourgi), les deux hommes avaient écopé d’une très lourde amende – 138 milliards de francs CFA chacun (210,3 millions d’euros) –, assortie du versement de dommages et intérêts pour un montant de 10 milliards de francs CFA (15,2 millions d’euros), une somme que les sept condamnés étaient censés payer solidairement.
L’État du Sénégal entendait donc obtenir que lui soient versées les sommes figurant sur l’ensemble de ces comptes bancaires monégasques afin de purger cette dette judiciaire colossale. L’un de ces comptes est au nom de Karim Wade ; les autres sont libellés au nom des nombreuses sociétés de la galaxie Aboukhalil et ont comme bénéficiaires, selon les cas, Ibrahim Aboukhalil, son frère Karim Aboukhalil, leur ancien associé Pape
Mamadou Pouye (lui aussi condamné par la CREI) ou encore des membres de leur famille proche.
Après une première tentative infructueuse d’obtenir de la justice pénale monégasque la confiscation des comptes bancaires en question, l’État du Sénégal avait ensuite sollicité, devant la justice civile de la principauté, l’exequatur du jugement de la CREI – autrement dit, son exécution dans un pays tiers.
Match interminable
Mais depuis plusieurs années, de jugements de première instance en arrêts d’appel, au civil comme au pénal, les magistrats de Monaco ont infligé au Sénégal plusieurs revers, le déboutant de sa requête principale pour divers motifs procéduraux et de fond.
La dernière manche de ce match interminable a trouvé son épilogue le 14 octobre. Dans une décision qui vient clore cette longue saga, la Cour de révision de la principauté (l’équivalent de la Cour suprême au Sénégal ou de la Cour de cassation en France) a en effet débouté définitivement l’État sénégalais de ses prétentions.
L’ÉGALITÉ DES ARMES N’A PAS ÉTÉ ASSURÉE DANS LE PROCÈS
Par cette décision, la Cour de révision confirme donc l’arrêt rendu le 30 mars 2021 par la cour d’appel de Monaco, qui elle-même avait entériné le jugement rendu le 20 février 2020 par le tribunal de première instance. Outre des manquements procéduraux attribués à l’État sénégalais, ce jugement considérait notamment que « l’égalité des armes [entre la défense et l’accusation] n’a pas été assuré dans le cadre du procès qui s’est déroulé devant la CREI » et que l’obligation faite à Bibo Bourgi de comparaître à certaines audiences malgré un état de santé susceptible de mettre en jeu son pronostic vital – une lourde pathologie cardiaque – constituait « une violation caractérisée des droits de la défense ».

Le tribunal considérait en outre que « la motivation plus que sommaire consacrée au préjudice de l’État du Sénégal […] ne permet pas de justifier le niveau particulièrement élevé des dommages et intérêts accordés à hauteur de 10 milliards de francs CFA ».
Surtout, il soulignait que Karim Wade « s’est vu artificiellement attribuer la totale propriété de onze sociétés » officiellement détenues par les frères Aboukhalil et Mamadou Pouye, remettant en cause le socle même de leur condamnation collective.
Longues série de déconvenues Pour l’État du Sénégal, cette fin de non-recevoir s’ajoute à une longue série de déconvenues survenues au fil des ans, suite à la condamnation prononcée par la
CREI en avril 2015 – confirmée quatre mois plus tard par la Cour suprême sénégalaise. C’est ainsi qu’en mars 2018, la cour d’appel de Paris s’était déjà opposée à la demande de confiscation des biens de Karim Wade et de Bibo Bourgi en France. Le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire, en avril 2015, ainsi que le
Comité des droits de l’homme de l’ONU, en octobre 2018, ont eux aussi désavoué, au cours des dernières années, la conduite de la procédure pour enrichissement illicite ayant abouti à la condamnation du fils de l’ancien chef de l’État, Abdoulaye Wade.
À la fin de 2019, comme l’avait alors révélé Jeune Afrique, la commission de l’ONU pour le droit commercial international – une instance arbitrale internationale – avait quant à elle « constaté le caractère illicite de l’arrêt de la CREI, engageant la responsabilité de l’État du Sénégal et l’obligeant à réparer le dommage subi par Ibrahim Aboukhalil », ainsi que le résumait à JA son avocate française,
Me Corinne Dreyfus-Schmidt.

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