Sénégal : Une tour infernale (Par Adama Gaye)

Sénégal : Une tour infernale
Par Adama Gaye*
L’image est saisissante. Elle renvoie au baiser le plus enflammé échangé, au temps de la guerre froide, en 1979, entre l’alors déclinant Sécretaire-Général vieillissant d’un Parti communiste de l’ex-Union soviétique (PCUS), en phase terminale, et le patron de l’alors Allemagne de l’Est, Erich Honecker. Qui n’a pas été frappé par la proximité quasi romantique, physique, entre Emmanuel Macron et Macky Sall ? Elle fait se dresser les sourcils partout et tous se demandent que partagent ces deux êtres prompts à se jeter dans les bras l’un de l’autre, sans craindre les commentaires corrosifs sur leurs baisers que l’on devine torrides, sans retenue.
Ce peut être l’expression d’une peur partagée. Celle du vide. En quelques mois, le sentiment est maintenant répandu que rien ne va plus ni pour Macron ni pour Macky. Davantage pour le Sénégalais dont la fortune politique s’est tellement rapetissée qu’elle donne l’impression de n’être plus qu’un morceau de bois sec pris dans les flammes d’une tour infernale sur le point de s’écrouler.
Alentour, c’est la panique. Les décisions les plus loufoques. La dernière en date, que le Sénégal entier doit rejeter, est celle qui le pousse à décréter l’octroi de salaires à plusieurs chiffres à une flopée d’anciens Premiers ministres dans une logique de prédation jamais vue ni imaginée dans ce pays.
Dix millions par mois, à vie, à chacun d’eux, alors que l’emploi des jeunes qu’il dit être sa grande ambition reste plus hypothétique que jamais.
Rien ne surprend chez un tel homme dont la propension à recruter les plus tannées reliques politiques, au moyen d’une corruption d’Etat infinie, est connue de tous. On se demande : lequel des anciens premiers ministres ciblés par sa nasse, surtout ceux qui se disent de l’opposition, réelle ou fictive, va avoir le goût de décliner son projet corrupteur…
C’est en vérité d’une débandade qu’il s’agit, la démarche d’un homme soucieux de mouiller à tout va afin d’escompter sauver sa peau, de faire oublier ses crimes illimités aussi économiques, sociaux que politiques contre la nation.
Minable stratégie. Elle l’empêche de voir que c’est non seulement trop peu mais trop tard. Tout s’effondre. Le feu monte. Ses haillons sont déjà pris par sa puissance. Le brasier est alimenté de partout. Les jeunes sénégalais sont sortis, voici un mois, pour affronter, à mains nues, sa soldatesque immorale. Ses cachots ne font plus peur à force d’accueillir des innocents qui en sortent légitimés aux yeux d’un peuple en quête de leaders. L’Administration américaine lui fait un pied de nez en refusant de le citer dans son message de vœux lors de la fête de l’indépendance du Sénégal, le 4 avril dernier. Un rapport du Département d’Etat était, il est vrai, venu le vitrifier en rappelant ses violations des droits de l’homme sans se soucier d’évoquer ses forfaits économiques, sur les finances et les ressources naturelles du pays, albatros sur sa tête engourdie par le feu qui monte.
La Cour de Justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a ajouté hier une louche à son déclin en récusant l’un des pans de son plan de braquage de la dernière élection présidentielle. Exit le parrainage mis en place pour empêcher que des candidats crédibles se dressent devant lui, dans les urnes et le peuple-arbitre. Son «élection», plus sélection traficotée, n’est plus légitime. Il ne lui reste que ses dames de compagnie, payés rubis sur l’ongle pour dénigrer ses pourfendeurs, et les transhumants attirés par les restes, ou encore sa marmaille politicienne sans foi, ses entrepreneurs, maître-écrans, champions des rétro-commissions, l’ADN de son régime, bref un ramassis des pires espèces.
La tour infernale sent ses piliers lâcher prise. Dedans, sentant la fin venir, ayant perdu le soutien de la souveraineté populaire, voyant combien son amoureux n’ose plus l’embrasser en public, ses yeux embués, il utilise ses dernières cartouches pour acquérir un arsenal de répression toujours plus menaçant. La tour est la proie du feu. Elle ne lui offre aucune issue. Surtout que la révolte des jeunes Tchadiens, applaudi à travers toute l’Afrique, rend plus indécente que jamais l’image d’un homme qui se fait embrasser par une macronite en passe de se consumer avec lui.
Les Sénégalais ont découvert le jeu de Macky Sall. Ils l’ont vomi. Le feu se charge du reste. D’éffacer physiquement ce qui n’est plus que le symbole d’un accident de l’histoire du Sénégal, d’une catastrophe sans précédent.
Adama Gaye* est un opposant en exil au régime de Macky Sall.