Task-force, remobilisation, conférences de presse… : Un spécialiste décrypte la stratégie du Président Sall

Depuis quelques jours, le chef de l’Etat Macky Sall, président l’Alliance pour la République (APR), continue de poser des actes forts. En effet, au-delà des entrismes notés dans le nouvel attelage gouvernemental, il a initié le concept « le Gouvernement face à la presse » pour permettre aux ministres de mieux défendre ses réalisations tout en appelant à une remobilisation des troupes au sein de son parti. C’est une stratégie politique pour « mieux » préparer les prochaines joutes électorales, selon un spécialiste de la science politique.
Quelques semaines après avoir formé un gouvernement élargi à une partie de l’opposition, le chef de l’Etat Macky Sall, a revigoré ses troupes. Ainsi, dans son discours lu, le 1er décembre dernier, par le directeur des structures, Mbaye Ndiaye, à l’occasion du 12eme anniversaire de de l’APR, il indiquait à ses militants que le parti doit « opérer sa mue, conforter les rapports de confiance qui ont forgé son unité et sa force ». Mais, il n’a pas perdu du temps pour passer à l’acte en entamant une série de discussions pour prendre langue avec les « frustrés » à l’image de Moustapha Cissé Lô, récemment exclu de la formation présidentielle, et d’autres ministres non reconduits. Ces audiences tous azimuts interviennent dans un contexte où il met en œuvre le concept « le gouvernement face à la presse » dont la deuxième édition est prévue, jeudi, avec le ministre de la Santé et de l’Action sociale, Abdoulaye Diouf Sarr, et son homologue de l’Agriculture et de l’Equipement rural, Moussa Baldé. Parallèlement, le Président Sall a mis en place une équipe Task-force composée de « 30 commandos » dont 7 ministres, 3 députés et 20 directeurs généraux. L’objectif étant de mettre en lumière les réalisations du quinquennat et de formuler des propositions au parti APR et à tous ses segments.
Renforcer son potentiel de légitimation
Pour Dr Papa Fara Diallo, enseignant-chercheur en science politique à l’université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, cette initiative présidentielle entre dans le cadre de sa stratégie de renforcer son potentiel de légitimation.
« Entre les dernières élections présidentielles (février 2019) et 2020, il y a eu la Covid-19 avec ses corolaires en termes de crise économique et sanitaire, je ne vois pas de réalisations significatives qu’il voudrait mettre en avant. Par contre, il y a eu une grande communication initiée par le chef de l’Etat durant la pré-campagne et la campagne de 2019 pour montrer les réalisations de la majorité et jouer sur le poids du bilan pour briguer un second mandat. Et on peut dire, au vu des résultats, que les Sénégalais ont accordé du crédit à sa volonté de matérialiser ses promesses électorales », a-t-il rappelé. A ce titre, ajoute l’analyste politique, « en mettant en place cette Task-force, le Président Macky Sall cherche à travailler sur la communication des actions du gouvernement pour monter que les engagements qui ont été pris sont en train de se matérialiser sur le terrain». L’universitaire, qui se pose des questions sur la nécessité de cette structure alors que qu’il y a déjà des services de communication dans le gouvernement et à la présidence de la République, redoute également un « problème de cohérence » et « une cacophonie institutionnelle ».
Un base politique solide
Quoi qu’il en soit, note Papa Fara Diallo, cela augure des velléités de préparer le terrain pour 2024 et surtout les élections locales qui pointent à l’horizon. « Le chef de l’Etat, en essayant d’élargir sa majorité à l’opposition, veut asseoir son assise politique. Même si cela peut susciter quelques débats, il veut construire une grande coalition pour aller aux élections locales », persiste le politiste qui est convaincu que celles-ci risquent d’être extrêmement disputées du fait notamment de l’enjeu que constitue la ville de Dakar et même dans les autres centres urbains à l’intérieur du pays. « Ces joutes électorales pourraient lui permettre d’avoir un maillage du territoire en termes de conseillers municipaux, départementaux, donc de collectivités territoriales qui entreraient dans son giron afin de construire une base électorale qui lui permet, sereinement, d’aller en 2024 », ajoute l’enseignant-chercheur en sciences politiques qui est, d’ailleurs, d’avis que la bataille de Dakar aura lieu d’autant plus que la coalition Taxawu Sénégal de Khalifa Sall a une base affective dans la capitale en contrôlant la mairie majoritairement.
« De l’autre côté, rappelle-t-il, l’opposition dite radicale, incarnée par Ousmane Sonko, est dans la logique de se construire une grande coalition pour se positionner et s’adjuger le maximum de conseillers dans la ville de Dakar et dans les différentes communes de la capitale sénégalaise. Donc, toutes ces manœuvres politiques entrent clairement dans l’optique de vouloir construire une grande coalition afin de pouvoir contrôler le maximum de collectivités locales ».
S’agissant, par ailleurs, des rencontres que le Président Sall a initiées, ces derniers jours, au sein de sa formation politique, notre interlocuteur fait constater que ce dernier compte réunifier sa famille politique pour éviter une forme d’opposition interne au sein du parti du fait des frustrations qui seraient nées suite au dernier remaniement ministériel. « Le chef de l’Etat, autant il a essayé de s’ouvrir à une certaine opposition, autant il doit essayer de faire en sorte que sa famille politique naturelle, notamment l’APR, ne puisse pas se fissurer au risque de le desservir. De ce point de vue, il est en train de faire des tractations », informe Dr. Papa Fara Diallo.