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Ter: La bouche du mensonge

Pour qui voudrait enrayer le mensonge du paysage politique sénégalais, fermer cette bouche serait déjà un bon début. C’est une très grande bouche ; une bouche qui parle avec une force persuasive digne des sophistes. Le malheur de la démocratie, c’est que les mensonges y ont pratiquement le même droit que la science. Comment se faire alors une bonne opinion si le critère de validité d’un discours n’a d’autre mesure que le buzz qu’il provoque dans les médias ? Le propre d’un intellectuel faussaire, ce n’est pas qu’il fraude sur ses diplômes ou sur ses capacités intellectuelles, c’est plutôt sa posture immonde consistant à user de son aura et de sa légitimité médiatique pour justifier l’indéfendable et servir les causes les plus viles. Les intellectuels courtisans sont les sophistes des temps modernes : qui tient la bourse tient la vérité, la sagesse, la vertu, etc. Tel Aristippe de Cyrène, cet hédoniste qui méprisait les conventions au profit de la vie de plaisir, la Bouche du Mensonge a pratiquement a fini de ravaler toutes ses vomissures. 

A force de méditer le degré de corruptibilité des élites sénégalaises, on est amené à douter de soi, à douter de sa propre intégrité, de sa vertu. « Serai-je toujours fidèle à mes convictions » ? C’est la question qu’on se pose forcément lorsqu’on réfléchit sur la trajectoire sinueuse de tous ces intellectuels ou pseudos intellectuels qui ont essaimé la presse écrite, les radios et télés du Sénégal à partir 2000. Qui pouvait imaginer qu’un champion autoproclamé du journalisme d’investigation et de la lutte pour la transparence pouvait défendre contre vents et marrées le système de prévarication le plus élaboré de l’histoire de notre république ? Avec les intellectuels déviants de cet acabit, on a une autre illustration du géocentrisme : le monde, ses repères et ses valeurs tournent autour du désir et des intérêts de la Bouche qui symbolise le mensonge. C’est la position de la Bouche du Mensonge qui détermine la vérité : la république, ses institutions, l’exigence de reddition des comptes, etc., doivent se prosterner devant sa majesté la Bouche du Mensonge.

Tenter aujourd’hui de justifier la pertinence du TER en arguant d’une anticipation sur le surpeuplement de Dakar et les problèmes de circulation qu’il induira d’ici 2035, c’est manifestement faire preuve de sophisme. Macky Sall et les siens sont dans une logique du capitalisme escroc ou de l’escroquerie qui se sert du capitalisme pour servir des intérêts égoïstes. La logique d’un tel capitaliste au service des oligarchies internationales, c’est de susciter les besoins de façon artificielle. Si les hommes deviennent de plus en plus obèses, c’est parce qu’ils ne mangent plus pour satisfaire leurs besoins vitaux, ils mangent pour satisfaire une exigence sociale, un mode d’être. C’est exactement la même logique qui guide la frénésie des méga-infrastructures qu’on impose aux pays comme le nôtre. Au-delà de la dialectique du mirage, il y a la logique du fait accompli : l’existence de l’infrastructure impose la nécessité de son exploitation quel qu’en soit le coût. Le TER sera tôt ou tard mis en service et les citoyens de ce pays pauvre qui s’appelle le Sénégal vont être la vache à lait des oligarchies étrangères.

La Bouche du Mensonge sait mieux que quiconque que ce n’est pas par un TER qu’on réussira à désengorger Dakar ou à régler la question de la fluidité de de la circulation. La cécité politique consistant à créer une nouvelle ville dans la gorge du Sénégal (Diamniadio) montre que ce régime n’a qu’une vision trop médiocre de l’aménagement du territoire national. La région du Cap-Vert et l’axe Dakar-Thiès-Mbour devraient plutôt être libérés de la pression foncière et démographique. Une nouvelle métropole loin de Dakar était la solution la plus juste, socialement parlant : ce n’est pas raisonnable que l’essentiel des revenus de ce pays soient investis ou consommés dans cette zone au détriment du pays profond. Une des solutions, c’est de construire un réseau sous-terrain (Tunnel) au lieu de consacrer une somme si faramineuse dans un seul axe. Il y a des possibilités de rendre plus performant le réseau d’autoroutier dans la capitale. Concomitamment au prolongement de l’autoroute vers Thiès et Kaolack, un chemin de fer traditionnel ou à grand écartement permettrait de provoquer une révolution des mentalités. On verrait des travailleurs rentrer tous les jours sur Kaolack, Mbour, etc. au lieu de croupir dans les prisons infernales du loyer à Dakar.

La Bouche du Mensonge tente, de façon subtile, de porter le discrédit sur les corps de contrôle de l’État et sur l’exploitation qu’en fait la presse ; lui qui a fondé toute sa notoriété sur l’exploitation astucieuse des rapports de ces institutions. Gustave Le Bon a dit que « Trois ordres de vérités nous guident : les vérités effectives, les vérités mystiques, les vérités rationnelles ». S’il m’était permis de le parodier je dirais l’exact contraire à propos de notre société, à savoir que trois sortes de mensonges nous égarent : les mensonges politiques, les mensonges mystiques et les mensonges émotionnels. Voilà pourquoi un homme comme la Bouche du Mensonge peut encore trouver des apôtres qui croient en sa funeste entreprise de mystification. 

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal

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