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Thomas Sankara « ressuscité » / Statut égalitaire de la femme, domination coloniale et restriction des libertés : Le père de la révolution Burkinabé comme on l’a jamais entendu…

Ce lundi, s’est ouvert le procès tant attendu par la population Burkinabè. Un procès dans lequel 14 personnes doivent être jugés, y compris l’ancien président Blaise Compaoré pour complicité d’assasinat, attentat à la sûreté de l’État, complicité de recel de cadavres. Il a fallu attendre 34 ans pour entamer une procédure judiciaire en vue de sanctionner les responsables, mais également, c’est une occasion pour se rappeler d’un héros de la nation Burkinabè. 

En juillet 1984, à la veille du 1er anniversaire de la révolution, le dirigeant de ce qui deviendra quelques jours plus tard le Burkina Faso, a accordé une interview au cinéaste René Gauthier alors en tournage pour la télévision algérienne. Cet entretien, tombé dans l’oubli, a été ressorti par Afrique XXI et revisité par Dakaractu qui a parcouru les différents points que la référence africaine de la révolution avait abordés.

Dans cet entretien, Thomas Sankara met l’accent de façon particulière sur l’émancipation de la femme, la domination occidentale des médias et aussi de la culture. L’icône Burkinabè considère que ce sont autant de mesures de portée symbolique qui ne sont  toujours pas bien perçues, mais adoptées dans le but d’inculquer le principe d’égalité entre les sexes, notamment au sein des couples. Sankara avait ainsi décrété qu’une matinée par semaine, le personnel masculin de la fonction publique se rendrait au marché pour y effectuer les courses hebdomadaires du foyer en lieu et place de leurs épouses.   
Moins anecdotique, la campagne contre l’excision, dont Sankara parle ici, a porté ces fruits car, le Burkina Faso (le nouveau nom de la Haute Volta à partir du 4 août 1984) a été un des premiers pays de la région à rendre cette pratique illégale.  

Thomas Sankara estime qu’il est très difficile de parler de libération de la femme, car les femmes sont dominées par des hommes eux-mêmes dominés. Elles sont doublement dominées. « Nous-mêmes, nous n’avons pas fini de nous libérer, nous ne pouvons pas libérer les femmes, nous ne savons pas comment faire, et les femmes ne savent même pas pourquoi, tellement elles ont été conditionnées à accepter la domination de l’homme », a rappelé le révolutionnaire. La problématique qui est posée, selon Thomas Sankara, c’est sue la femme est enfermée dans un éternel blocage qui « l’empêche » de progresser dans son droit de se liberer, d’être au « même pied d’égalité » que l’homme.  

« Si vous alliez dans mon village et dire à une femme : « tu as le droit de parole, de donner ton point de vue dans le débat qui se déroule », devant les hommes, elle vous dirait : « quel scandale ! ». Elle préfère être dans la position de soumise. C’est comme ça : sa mère, sa grand-mère ont connu la société de cette façon-là, c’est tout un vertige ! Elle ne saurait où aller si demain on lui disait : « toi aussi tu as la possibilité… » Imaginez quelqu’un qui a été maintenu en prison pendant très longtemps, dans l’obscurité de la prison, qui a fini par se défaire de la claustrophobie, et brusquement on lui ouvre la porte et on lui dit : « tu es libre, vas-y ». Il sera frappé par la lumière crue, la lumière naturelle, ses premiers pas seront des pas très gauches parce qu’il préfère l’intimité du milieu carcéral qu’il connaît, avec lequel il a composé depuis plusieurs années », avait confié Thomas Sankara.   

Pour l’ancien guide des Burkinabè, « il faut que les femmes soient libres, il faut qu’elles soient libérées progressivement. Mais que ce ne soit pas le folklore, les femmes rassemblées pour acclamer en uniforme, « vive ceci ou vive cela »… car poursuit-il, « ça c’est une autre forme de libération qui ressemble beaucoup plus à de la domination et à une organisation massive et à une caporalisation de la femme pour autre chose. »  

Sur la question de donner une définition concrète de cette liberté qui a été déformée et mystifiée même en Europe, Thomas Sankara répondit : « Cette liberté est le droit pour la femme à participer, à définir la vie collective avec l’homme, c’est à dire que la femme ne doit pas être conçue comme un complément, c’est-à-dire, quand l’homme a fini, on laisse la femme prendre la parole pour les questions subsidiaires. Il ne s’agit pas de cela. La femme est l’égal de l’homme. Je sais que c’est difficile à accepter, mais la femme est réellement l’égal de l’homme et peut faire tout ce que fait l’homme, même si elle a des possibilités et des sensibilités que l’homme n’a pas, et qu’en retour l’homme a des possibilités et des sensibilités que la femme n’a pas. C’est très simple : nous disons que physiquement, la femme peut faire ce que l’homme fait ; intellectuellement les femmes, à l’école, dans les universités, elles peuvent faire ce que nos hommes ont fait. Elles l’ont fait, elles ont les mêmes diplômes, etc… »  

Pour donner l’exemple de la femme persévérante, africaine et qui se tue pour etre utile comme l’est l’homme, le symbole de la révolution Burkinabè persiste : « La femme voltaïque se lève à 4h30 du matin, sa journée commence à 4 heures, 4h30, et sa journée finit vers les 23 heures, minuit. À chercher du bois, de l’eau, à faire la cuisine, à laver les enfants, à nettoyer et balayer la maison… Alors ? L’homme pendant ce temps se repose. Quand la femme va au champ avec l’homme, elle cultive le même champ que l’homme. En fait, l’homme c’est le contremaître, dans le champ, qui regarde ses femmes, c’est-à-dire ses ouvrières, travailler. Et à la fin du travail qui est dû au maître, la femme va encore dans son propre champ à elle, puisqu’elle est souvent coépouse, et il lui faut un petit revenu pour pouvoir mieux nourrir ses propres enfants. Si la femme physiquement peut le faire, et si l’homme éprouve le besoin d’aller se reposer à l’ombre des arbres, c’est que la femme physiquement a les capacités. Nous pensons qu’en haltérophilie nous pouvons trouver des femmes qui soulèvent les mêmes quintaux que les hommes. Il suffit de les entraîner dès le départ, et surtout de ne pas lui dire dès l’enfance qu’elle est inférieure à son frère. Toute la mentalité chez nous, en Volta, est faite de telle sorte que, parce que vous êtes un garçon, même si vous êtes le dernier des garçons, vous êtes au moins le premier parmi les femmes ».   

Pour Thoms Sankara, « ce n’est que si ces rapports sociaux étaient transformés que nous pourrions faire participer la femme à la lutte contre l’impérialisme, qui est un autre problème, mais nous ne le voulons pas et ce n’est pas facile d’accepter de dire : « la femme est l’égale de l’homme ».  

Sur le plan de la liberté des médias africains par rapport à l’influence européenne, Thomas Sankara saura rappeler qu’il ne connaissait pas jusqu’à ce point-là la puissance des médias en général. Mais depuis le 4 août,  il s’est aperçu comment il est possible de fabriquer de toutes pièces des hommes, des images positives et négatives. Pour le révolutionnaire, « il faut libérer l’information et lui permettre de dire ce qu’il y a à dire, à dire la vérité critique et constructive ». Toutefois, précise Sankara, il n’est pas demandé que « les journalistes se transforment en thuriféraires ou que les micros deviennent des espèces d’encensoirs ». Mais, il faut que les efforts des Africains soient présentés.  

Sur la question des rapports culturels qui seraient même entachés de colonialisme, Thomas Sankara sera sans équivoque: « Il n’y a pas ces rapports égalitaires entre ces cultures qui, au fond, peuvent et devraient se compléter harmonieusement si on veut faire l’effort. Parce qu’il y a eu des rapports inégaux dès le départ qui étaient largement en faveur de la culture du colonisateur ».  

Pour lui, un des blocages est que l’Africain pense dans la mentalité du colonisateur pour traduire sa pensée dans les langues de son pays. « C’est d’abord là un problème très important. Allez traduire la révolution dans nos langues, allez traduire la démocratie dans nos langues, ce sont des périphrases à n’en plus finir, cela est très significatif », explique l’interviewé allant même jusqu’à dire que, sur le plan économique, l’Africain est victime. « C’est l’un des domaines qui va nous prendre le plus travail, parce que cela demande une transformation totale des mentalités », avait prédit l’ancien chef d’État burkinabè…

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