A LA UNESOCIETE / FAITS DIVERS

UNE DETRESSE SI FEMININE !

L’avancée de la mer, la raréfaction des poissons, la partance des pêcheurs vers d’autres cieux ou leur voyage périlleux vers l’Europe, ont fini d’installer la misère dans la zone côtière. A Bargny Geth et à Yarakh, les femmes, obligées de rester dans les foyers désertés par des hommes à la recherche de meilleurs profits, ne s’en sortent plus. La transformation de produits halieutiques, leur principal gagne-pain, est quasi impossible. Le poisson se fait de plus en plus rare. Pis, le métier est envahi par des hommes, venus de la sous-région, qui ne laissent que de maigres opportunités à des dames tenaillées par les charges familiales. A côté, il y a une vie, sans le minimum de luxe. L’avancée de la mer a causé la perte de plusieurs habitations à Bargny Geth, causant une détresse inouïe.

Samedi 24 décembre 2022, au moment où certains Dakarois dorment encore, Bargny Geth s’est réveillé, à cause des fortes vagues menaçantes. Ndiaga Samb fait partie de ces quartiers de la commune touchés par l’avancée de la mer. Les maisons ne sont qu’à quelques pas de la mer. Peu avant 10 heures du matin, les bambins, pieds nus, jouent déjà dans les ruelles humides et exiguës. Le petite espace qui sépare la mer des maisons est rempli de déchets. Des couches pour bébés déjà utilisés et des serviettes hygiéniques laissées à l’air libre jonchent le sol. Les enfants, insouciants de de cette saleté, jouent à côté des vagues et des pirogues à quai. Bargny Geth ne vit pas, à cause de l’érosion côtière. Et les femmes laissées dans les maisons délabrées, par des hommes parties chercher du profit loin de ce tohu-bohu, ressentent durement les effets de cette proximité avec la mer. «La mer qui nous était très utile est devenue notre source de malheur. Elle a disloqué nos familles, fait de nous des sans abris et a causé plusieurs morts chez les jeunes en partance pour l’Europe», déplore Ndèye Yacine Dieng. Elle est femme transformatrice et militante pour la Protection de l’Environnement et de la Côte à Bargny Geth. Avec un récit qui inspire la pitié, la dame, Ndèye Yacine, la soixantaine dépassée, évoque le quotidien à Ndiaga Samb et dans les cinq (5) autres quartiers touchés par l’avancée de la mer.

La vie dans les maisons à proximité de la mer à Bargny Geth, c’est un supplice fait de promiscuité, de la peur d’être envahi par les eaux en tout temps et des conditions d’hygiène piètres. «Ma maison était à 500 m de la mer ; maintenant, elle est à quelques mètres. Les trois quart sont engloutis par les eaux. Ici, à Bargny Geth, nous vivions dans des concessions familiales qui étaient de grandes maisons, avec beaucoup de chambres. Maintenant, nous sommes obligés de vivre dans la promiscuité. Quand certaines chambres sont prises par les eaux, on se regroupe dans celles qui restent», constate-telle, stoïque. Vivre entassé comme des sardines, a des conséquences sociales. Parfois celles-ci sapent la cohésion familiale, avec des incidents qui ne sont jamais racontées en public. Ndèye Yacine Dieng en sait quelque chose, mais se garde de tout dévoiler. «Cette promiscuité est à l’origine de beaucoup de problèmes que la décence m’interdit d’évoquer», dit-elle. Sa déclaration est compréhensible, d’autant plus que, dans notre société, beaucoup de cas de viols se passent dans les familles. Ils sont étouffés et les victimes n’obtiennent jamais justice.

En effet, la disparition des habitats à Bargny Geth fait qu’une dizaine de personnes peuvent s’entasser dans une chambre, la nuit. La hantise des vagues, l’humidité des chambres et la présence massive de personnes ne sont pas compatibles avec une nuit apaisante. «Le confort, on ne le cherche pas. L’essentiel est d’avoir juste ou poser la tête, en attendant la levée du jour», confesse, avec amertume, Ndèye Yacine Dieng. Nostalgique, elle relève qu’elles sont très loin, ces années où les hangars érigés à la plage, non loin des maisons, servaient de lieux de discussions et d’attente des pêcheurs de retour de la mer. Tout est en dans l’eau.

 SE SOULAGER, UN LUXE A NDIAGA SAMB

Dans les quartiers touchés par l’érosion côtière, à Bargny Geth, les lieux de loisirs, des places publiques et même les cimetières sont rayés de la carte. Leurs emplacements ne constituent que des souvenirs que tentent de reconstituer les habitants. La mer est déjà à la porte des maisons et dicte sa loi et les limites à ne pas franchir. Des habitations sont inaptes à contenir des toilettes avec toutes les fonctionnalités et commodités. Du coup, se soulager ou faire ses besoins naturels est devenu un fardeau pour les habitants. Les déchets fécaux se mélangent à la saleté déposée sur la plage par les vagues. Ils reviennent ainsi aux habitants qui, à cause des hautes vagues qui emportent tout sur leur passage, ont fait de la mer des toilettes à l’air libre. «Nombreux sont ceux qui attendent la nuit pour aller en mer. D’autres ont des pots de chambres. Ils y font leur besoin, en attendant la tombée de la nuit, pour tout déverser dans la mer», s’indigne Ndèye Yacine Dieng. Et pourtant, la loi n°83-71 du 5 juillet 1983 portant Code de l’hygiène, «interdit le mélange des matières fécales ou urinaires aux ordures ménagères».

Sur une vingtaine de familles, sa demeure est la seule à disposer d’une toilette qui n’est pas des meilleures. Elle accueille ceux qui osent braver les regards des riverains de sa demeure qui, sans nul doute, savent l’objet de la visite chez la seule détentrice d’une toilette. En dehors de la maison de Ndèye Yacine Dieng et de la mer, les toilettes de la mosquée servent aussi de refuge à ceux-là qui ne peuvent attendre la pénombre de la nuit pour faire leur besoin. Ndèye Yacine Dieng raconte aussi son habitude quotidienne qui est d’ensevelir, chaque matin, les matières fécales incommodes avec l’épanouissement humain. L’accés aux toilettes est un droit. Pour cela, Ndèye Yacine Dieng plaide à ce qu’au moins des toilettes de fortune puissent être érigées dans le quartier, afin de permettre aux habitants de se soulager dans la dignité. Bargny Geth est fortement touché par l’immigration irrégulière. Certaines épouses dont les maris ont péri en mer, refusent de faire le deuil. Elles sont dans le déni. «Il y a des épouses non résignées, qui n’arrivent toujours pas à croire que leurs conjoints sont morts, tentant de rejoindre l’Europe à travers les embarcations de fortunes, même si le décès est connu de tous. Elles refusent de quitter le domicile conjugal», raconte Ndèye Yacine Dieng.

ARRETER LES VAGUES… PAR SES BRAS

Aida*, fatiguée des va-et-vient entre sa maison qui n’est faite que d’une minuscule chambre, s’est résignée à supporter l’eau qui perturbe son sommeil en fréquence. «Il y a de cela quelques jours, nos chambres ont été envahies par l’eau, à 2 heures du matin. J’étais obligée de me lever à cette heure de la nuit pour évacuer l’eau. Je n’ai qu’une chambre où je dors, avec mes enfants. Ce sont ceux qui se couchent par terre qui me réveillent des fois pour m’informer de la présence de l’eau. Quand ils sentent que leur matelas est mouillé, ils me réveillent. Je n’ai pas assez d’espace pour mettre tout le monde dans le lit», soutient-elle. Laissée seule, par un époux parti chercher du travail dans un autres pays, elle n’a que des solutions de fortunes pour essayer d’arrêter les vagues. «Je prends les gravats des décombres des maisons abandonnées, des pneus ou des sacs de sable pour m’adapter ; mais l’efficacité n’est pas trop grande. En cas de marée haute, ma chambre est envahie. Je n’y peux rien.» Avec de petits enfants qu’elle ne peut abandonner, seuls, sans surveillance, Aïda n’a plus d’activité. La transformation de produits halieutiques qu’elle faisait n’est plus possible. La matière première n’est plus à sa portée. La survie de sa progéniture, elle l’a repose désormais sur les épaules de ses filles qui travaillent comme ménagères ou aux hypothétiques envois de son mari dont l’activité n’est plus rentable.

*Nom d’emprunt pour protéger l’intimité de la dame

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