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Une ferme à trolls israélienne a influencé des dizaines d’élections en Afrique

Une entreprise clandestine israélienne, spécialisée dans la manipulation électorale notamment par les réseaux sociaux, a été utilisée pour influencer des dizaines d’élections dans le monde, particulièrement en Afrique, selon le collectif de journalistes d’investigation Forbidden Stories.

La société, sans existence légale, surnommée « Team Jorge » par les journalistes, en raison du pseudonyme d’un de ses responsables, Tal Hanan, est composée d’anciens membres des services de sécurité israéliens selon les révélations du collectif mercredi. Ses différents commanditaires n’ont pas été identifiés.

Trois membres de Forbidden Stories, un journaliste de Radio France, un du quotidien israélien Haaretz et un autre du journal israélien The Marker, se sont fait passer pour des clients potentiels pour recueillir pendant plusieurs mois des informations sur la « Team Jorge ». 

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Jorge était déjà impliqué dans le scandale Cambridge Analytica en 2018, du nom de cette entreprise accusée d’avoir analysé des volumes très importants de données pour vendre des outils d’influence utilisés notamment par Donald Trump. Avec sa nouvelle structure, Jorge revendique être « intervenu dans 33 campagnes électorales au niveau présidentiel », a-t-il dit à ses faux clients, selon Radio France.

Sur ces 33 campagnes, leur a précisé un autre responsable, « les deux tiers d’entre elles (ont eu lieu) en Afrique anglophone et francophone. 27 ont été un succès ». En Europe, la société serait intervenue dans le référendum, non reconnu par le gouvernement espagnol, organisé par les indépendantistes catalans en 2014, selon le site de Radio France.

En Afrique, « nous pouvons confirmer qu’au cours de l’été 2022, alors que l’élection présidentielle kényane approchait, Jorge s’est intéressé aux comptes de proches du futur président William Ruto », Dennis Itumbi et Davis Chirchir, membres de son équipe de campagne, selon le site Forbidden Stories.

39.213 faux profils

Pour ses activités, la société a notamment développé « depuis six ans une plateforme numérique », AIMS (Advanced Impact Media Solutions en anglais, soit « solutions avancées pour un impact médiatique »), qui lui permet de créer à volonté des faux comptes sur les réseaux sociaux, mais aussi et surtout de les activer, de les animer pour leur donner un vernis d’existence, explique le collectif.

« Début janvier 2023, le système exploitait 39.213 faux profils différents, consultables dans une sorte de catalogue. On y trouve des avatars de toutes ethnies et nationalités, de tous genres, célibataires ou en couple… Leurs visages sont des portraits de vraies personnes piochées sur internet, et leurs patronymes, la combinaison de milliers de noms et de prénoms stockés dans une base de données », selon le site de Radio France.

D’après le collectif, l’entreprise recourt aussi à l’espionnage de personnages clés, notamment en les plaçant sur écoute, ou de piratage. « Pour démontrer l’efficacité d’un des ses outils, Jorge a pris le contrôle des systèmes de messagerie de plusieurs responsables africains de haut niveau. ‘Nous sommes dedans’, a-t-il dit aux journalistes qui ont vu deux comptes Gmail, un Google Drive et un réperteroire ainsi qu’une série de comptes Telegram », selon Forbidden Stories.

« Une fois infiltré dans les systèmes, Jorge était en mesure de se faire passer pour le propriétaire pour avoir des échanges avec ses contacts. Jorge a envoyé des messages aux relations des victimes à partir des comptes Telegram piratés », ajoute le site. L’entreprise peut aussi procéder à des actions d’influence, de lobbying auprès de décideurs ou de journalistes pour le compte de ses différents clients.

Le collectif affirme par exemple que c’est le cas d’un journaliste de la chaîne d’information française BFM TV, récemment mis à pied après avoir diffusé sans respecter les procédures des brèves ayant trait aux oligarques russes, ou au Qatar, qui aurait été « fournies clés en main pour le compte de clients étrangers », selon le consortium d’investigation.

L’une de ces brèves, sur les difficultés de l’industrie du yacthing à Monaco depuis l’imposition de sanctions internationales à la Russie et ses ressortissants, laisse par exemple penser que l’objectif est de critiquer la politique de sanctions des pays européens.

Forbidden Stories (« Histoires interdites ») est un réseau de journalistes d’investigation créé en 2017. Il s’est donné pour mission de poursuivre le travail d’autres journalistes menacés, emprisonnés ou assassinés. C’est ce consortium qui avait fait éclater en 2021 le scandale du logiciel espion israélien Pegasus.

voa

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