USA – Condamnés à mort mais innocents : d’une erreur judiciaire aux couloirs de la mort
Depuis 1973, plus de 8 700 personnes ont été condamnées à mort aux États-Unis. Plus de 1 500 ont été exécutées. 182 des condamnés étaient innocents.
Kwame Ajamu, 63 ans, habite à deux pas de chez moi, en banlieue de Cleveland (Ohio). En 1975, cet homme a été condamné à mort pour le meurtre de Harold Franks, un vendeur, dans l’est de la ville. Ajamu avait 17 ans quand il a été reconnu coupable.
À l’époque, Kwame Ajamu s’appelait Ronnie Bridgeman. Sa condamnation s’appuyait surtout sur le témoignage d’un garçon de 13 ans, qui avait dit avoir vu Bridgeman et un autre jeune homme attaquer violemment le vendeur au coin d’une rue. Aucune preuve – médico-légale ou matérielle – ne liait Bridgeman au meurtre. Il n’avait aucun antécédent judiciaire. Un autre témoin a déclaré que Bridgeman ne se trouvait pas à ce coin de rue quand Harold Franks avait été tué. Pourtant, quelques mois après son arrestation, le lycéen était condamné à mort.
Trente-neuf ans plus tard, il sera révélé publiquement que le garçon qui avait témoigné contre Bridgeman avait aussitôt voulu se rétracter. Plus tard, devant un tribunal, ce témoin a assuré que les policiers de la brigade criminelle de Cleveland l’avaient menacé d’arrêter ses parents et de les inculquer pour faux témoignage s’il revenait sur sa déposition. Ajamu a bénéficié d’une libération conditionnelle en 2003, après vingt-sept ans en prison. Et il a dû encore attendre près de douze ans que l’État de l’Ohio l’innocente du meurtre, quand le faux témoignage du garçon et les pratiques répréhensibles de la police ont été révélés, lors d’une nouvelle audience liée à l’affaire.
J’ai interviewé Ajamu et d’autres condamnés à mort, qui tous avaient été reconnus coupables de crimes qu’ils n’avaient pas commis. Ce que ces ex-condamnés à mort traversent au quotidien est tout aussi terrifiant et décourageant que de se trouver dans le couloir de la mort en se sachant innocent. Le stress post-traumatique subi par une personne injustement condamnée et en attente d’exécution par le gouvernement ne disparaît pas lorsque l’État libère le détenu, lui présente ses excuses, voire lui accorde une indemnisation financière – ce qui est rare.
Peu de pays exécutent plus d’êtres humains que les États-Unis. De plus, des facteurs liés à la victime ou à l’accusé (origine ethnique, faibles revenus, impuissance face à des policiers ou à des procureurs trop zélés…) peuvent exposer ce dernier à un risque accru de condamnation injustifiée susceptible de mener à l’exécution.
L’origine ethnique est un facteur particulièrement déterminant. En avril 2020, les Noirs représentaient plus de 41 % des détenus dans le couloir de la mort, alors qu’ils ne constituent que 13,4 % de la population des États-Unis.
Tous les anciens condamnés à mort que j’ai rencontrés sont membres de l’association à but non lucratif Witness to Innocence (WTI). Basée à Philadelphie depuis 2005, elle est dirigée par des condamnés à mort innocentés. Son principal objectif : obtenir l’abolition de la peine capitale aux États-Unis, en faisant changer l’opinion publique sur la moralité de cette sentence.
La campagne menée par WTI ces quinze dernières années auprès du Congrès des États-Unis, des législatures des États, des conseillers et des universitaires a largement contribué à l’abolition de la peine capitale dans plusieurs États. Celle-ci demeure légale dans vingt-huit États, ainsi qu’au niveau fédéral et dans l’armée.
En 2020, dix-sept personnes ont été exécutées aux États-Unis, dont dix par le gouvernement fédéral. C’était la première fois que les autorités fédérales exécutaient plus de prisonniers que l’ensemble des États.
« J ’ai été enlevé par l’État de l’Ohio quand j’avais 17 ans. » Ainsi Kwame Ajamu entame-t-il notre première conversation, dans mon jardin. « Je n’étais qu’un enfant quand j’ai été envoyé en prison pour être tué, me confie celui qui est devenu président du conseil d’administration de WTI. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait ni comment cela pouvait arriver. »
Le jour où Ajamu est arrivé à la Southern Ohio Correctional Facility, une prison de haute sécurité, en rase campagne, on l’a escorté jusqu’à un bloc cellulaire rempli d’hommes condamnés. Au bout du couloir de la mort se trouvait la pièce abritant la chaise électrique de l’État. Avant de l’enfermer dans sa cellule, les gardiens ont tenu à faire passer Kwame Ajamu devant cette pièce.
Kwame Ajamu : comté de Cuyahoga, Ohio. Vingt-sept ans en détention, dont deux dans le couloir de la mort ; innocenté en 2014. Kwame Ajamu, 63 ans, est né Ronnie Bridgeman – il a changé de nom en prison. En 1975, il a été reconnu coupable du meurtre d’un vendeur de Cleveland, sur la foi du seul témoignage d’un garçon de 13 ans. Bridgeman était lui-même adolescent quand il a été condamné à mort. Sa peine a été commuée en réclusion à perpétuité en 1978. Il a bénéficié d’une libération conditionnelle en 2003, mais vivait encore avec la disgrâce de sa condamnation. Puis, en 2014, le témoin a déclaré devant un tribunal que sa déposition initiale était fausse. Ce témoignage a innocenté trois personnes : Ajamu, son frère Wiley Bridgeman et leur ami Ricky Jackson.
Photographie de MARTIN SCHOELLER
Ajamu a été condamné à mort en 1975; en 2005, la Cour suprême des États-Unis a statué qu’exécuter des mineurs violait la Constitution, qui prohibe les « châtiments cruels et exceptionnels ». Entre ces dates, le pays a exécuté vingt-deux personnes reconnues coupables d’un crime commis alors qu’elles avaient moins de 18 ans, selon le Centre d’information sur la peine de mort (DPIC).
L’exécution de mineurs date de bien avant la naissance des États-Unis. Premier cas connu dans les colonies britanniques : la pendaison, en 1642, de Thomas Granger, 17 ans, dans la colonie de Plymouth. Aux premiers temps des États-Unis, des enfants encore plus jeunes ont été exécutés. Hannah Ocuish, une Amérindienne de 12 ans, a été pendue pour meurtre, dans le Connecticut, en 1786. Deux esclaves ont été pendus en Virginie : l’un de 12 ans, pour meurtre, en 1787 ; l’autre de 13 ans, pour incendie volontaire, en 1796.
Pendant encore près de deux cents ans, les condamnations n’ont pas pris l’âge en compte. Jusqu’aux environs de 1900, les casiers judiciaires disponibles n’indiquent pas toujours l’âge des personnes exécutées. En 1987, pour la première fois, la Cour suprême des États-Unis a accepté d’examiner la constitutionnalité de la peine de mort pour les mineurs. On recensait alors quelque 287 personnes exécutées avant l’âge adulte.
En 1978, la Cour suprême avait déjà statué que la législation de l’Ohio sur la peine capitale violait l’interdiction des châtiments cruels et exceptionnels stipulée par le huitième amendement à la Constitution des États-Unis, ainsi que le droit à l’égale protection par la loi, prévu par le quatorzième amendement. La peine de mort de Kwame Ajamu avait alors été commuée en réclusion à perpétuité. Il est cependant resté derrière les barreaux pendant vingt-cinq ans de plus avant de bénéficier d’une libération conditionnelle.
Il n’a été disculpé qu’en 2014, après qu’un journaliste d’un magazine de Cleveland qui défendait sa cause et l’association Ohio Innocence Project l’eurent aidé à éclaircir le mensonge qui l’avait expédié dans le couloir de la mort.