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LE VAUDOU, UNE RELIGION MAIS AUSSI UNE CULTURE

Bénin, le 10 janvier, c’est la fête nationale du vaudou. Un jour férié, pour célébrer le culte des divinités de la nature et les ancêtres. Accompagnés de tambours, Hèviosso, dieu du tonnerre, Sakapta, dieu de la terre, Mami Wata, déesse de la mer, les impressionnants Zangbeto, les gardiens de la nuit, et bien d’autres seront de sortie. Ce festival accueille bien sûr les pratiquants du culte, les initiés, mais aussi nombre de visiteurs venus d’Afrique, d’Europe mais aussi des Caraïbes et des Amériques, venus découvrir le vaudou dans son pays d’origine.

Pour mieux comprendre le vaudou, et en particulier le vaudou-béninois, nous avons rencontré Philippe Charlier, directeur du département de la recherche et de l’enseignement au musée du Quai Branly-Jacques Chirac, mais aussi médecin légiste, anthropologue et archéologue. Scientifique, il interroge le visible et l’invisible. Le vaudou le passionne. À force de poser des questions à chacun de ses voyages en terres béninoises, des responsables du culte lui ont proposé d’être initié. Une expérience qu’il raconte dans un livre, Vaudou : l’homme, la nature et les dieux (collection Terre Humaine, Plon, 2020)*, sans toutefois en relever des secrets interdits, mais en expliquant sans vulgarisation excessive mais avec force et clarté la religion vaudoue basée sur une continuité entre les vivants, la nature et les morts. Il s’est confié au Point Afrique.

Le Point Afrique : Le Bénin est présenté comme la terre d’origine du vaudou. Quelles sont les racines de cette religion et comment a-t-elle évolué au fil du temps ?

Le vaudou est historiquement connu depuis le XVIIe siècle, mais il est vraisemblable qu’il soit apparu antérieurement, peut-être vers le XIVe ou XVe siècle. C’est justement tout l’intérêt de l’archéologie sur un territoire comme celui d’Abomey, avec des fouilles dans les palais des rois Glélé, Ghézo et Béhanzin, pour tenter de remonter aux racines du vaudou et à ses origines.

C’est une religion qui a évolué avec des courants migratoires, des conquêtes militaires et des mouvements liés aux communautés marchandes. On sait que le vaudou est probablement issu d’une tradition du Nigeria, qui est passée au Togo, qui est revenue au Bénin dans un mouvement de spirale. Il faut comprendre que le vaudou est une culture doublée d’une religion, et cette religion est protéiforme, polymorphe. Chaque fois qu’un roi d’Abomey, d’Allada, de Porto Novo ou d’une autre cité faisait la conquête d’une nouvelle cité ou d’un peuple, il récupérait son vodoun, c’est-à-dire sa divinité, et l’incorporait à son propre panthéon. Ceci explique le fait que l’on n’ait pas exactement les mêmes divinités vaudoues selon les lieux. Il y a toujours des petites divinités secondaires qui sont soit des divinités locales « absorbées », soit des divinités conquises, parfois apportées par des mariages : quand un roi d’Abomey épouse une princesse extérieure (par exemple originaire d’Ifé, au Nigeria), celle-ci vient avec ses secrets et ses fétiches (les vodouns sont alors incorporés au panthéon local et augmentent le pouvoir spirituel du royaume).

Le vaudou est basé sur des concepts généraux et une métaphysique propre, avec une organisation du monde par des rituels, des lignes de force. À l’origine, il y a une divinité unique qui a créé le monde, puis s’est retirée loin de tout. L’énergie s’est ensuite cristallisée dans des lieux sacrés, ou des divinités auprès desquelles il est possible de demander intercession. Mais ce ne sont pas tout à fait les mêmes dieux ni les mêmes morphologies, symboles ou rituels qui vont être utilisés à tel ou tel endroit. Le vaudou, que l’on appelle « vaudou béninois », a évolué au cours du temps, avec les conquêtes du XVIIe au XIXe siècle. Il est également dynamique dans son organisation, et présente un caractère évolutif dans le temps et l’espace.

Quelle fonction occupe le vaudou dans la société béninoise ?

Le vaudou est véritablement le ciment de la société béninoise, togolaise et de la zone de la frontière Bénin-Nigeria, zone de culture yoruba, plus traditionnelle et moins islamisée. C’est le ciment dans le sens où le vaudou organise deux équilibres, deux harmonies : une première entre les humains et la nature, sachant que la nature est divinisée et respectée. C’est l’émanation de divinités, voire des divinités elles-mêmes : une source sacrée, une montagne, une forêt sacrée, une esplanade consacrée au culte des ancêtres… Tout cet espace est ritualisé. Cet équilibre entre l’homme et la nature explique certains phénomènes comme la foudre, les débordements de fleuve, des sources qui ne tarissent pas… Chaque site sacré, chaque élément de la nature, chaque lieu autour d’un temple vaudou est une zone sacrée. La nature n’est pas vue comme un territoire inerte mais plutôt vivant où réside une force surnaturelle. C’est une valeur fondamentale. La nature est divine. On ne pollue pas. On utilise beaucoup plus de matériaux périssables qui se dégradent. Il existe une sorte d’écologie naturelle dans le vaudou.

Le second équilibre, c’est l’harmonie entre les hommes et les ancêtres, et l’équilibre entre les différentes strates de la société, les nantis comme les plus humbles, mais également entre les anciens et les plus jeunes. Le vaudou permet d’organiser la société, de faire le lien entre les différents individus qui la composent, comme les différents grains du fruit d’une grenade. Cela donne du sens au positionnement de chaque individu dans la nature et de chaque individu dans la société. On considère ainsi le vaudou autant comme une religion que comme une culture. On peut très bien être de religion catholique, mais appartenir encore à la culture vaudoue, qui est une sorte de façon de vivre, de penser et d’organiser la vie qui n’est pas forcément antinomique des religions du livre (islam, christianisme, judaïsme). Pour cette raison, le vaudou est extrêmement important dans la culture béninoise, mais aussi togolaise et de la frontière nigériane.

Observe-t-on une sorte de concurrence entre le vaudou et les religions du livre ?

Oui, bien sûr, cette concurrence existe, notamment avec les églises évangéliques, les nouvelles églises de Dieu néo-protestantes d’inspiration locale ou américaine, mais aussi les musulmans fondamentalistes qui mènent une vraie guerre de religion. Le vaudou se répartit principalement dans les 250 à 300 kilomètres au sud du Bénin où l’on relève ponctuellement des exactions contre les sanctuaires ou la communauté vaudoue.

En Haïti, en revanche, se déroule une vraie guerre de religion contre les vaudouisants, non pas du fait des catholiques romains, mais plutôt par des néo-protestants américains. Des temples sont incendiés, une véritable cabale est menée contre le vaudou, étiqueté de sorcellerie, même si ce n’est pas le cas.

Au Bénin, heureusement, il n’y a pas de guerre de religion, mais ponctuellement, quelques attaques sont menées contre des temples vaudous et des critiques acerbes sont émises dans les journaux, vis à vis de hauts notables du vaudou, accusés de tel ou tel maux, généralement fallacieux. Ce n’est pas encore organisé et généralisé comme cela est le cas en Haïti.

Cette concurrence ne devrait pas exister. La bireligiosité est assez fréquente, finalement (on le voit ici à travers certains objets du musée du quai Branly-Jacques Chirac), et l’on peut très bien appartenir à deux religions sans que cela ne pose le moindre problème. Deux dieux valent mieux qu’un. On est toujours mieux protégé ! Deux religions permettent de trouver plus de réponses aux questions que l’on peut se poser dans la vie quotidienne et notamment sur le plan métaphysique…

Le 10 janvier, le Bénin organise la Fête nationale du vaudou. Cet événement existe-t-il depuis longtemps ? Quelle est sa portée, son intérêt ? Le gouvernement béninois met-il cette fête en avant pour des raisons culturelles et touristiques  ?

De mémoire, cela fait près de trente ans que la fête du vaudou – et des religions traditionnelles, l’épithète a été rajoutée récemment – existe. Associer les autres religions traditionnelles, non étiquetées « vaudou », pratiquées au Bénin, mais aussi dans des pays limitrophes ou plus lointains, permet d’élargir et de rallier plus de personnes autour de cette fête. Ainsi, on retrouve des Bamiléké du Cameroun qui viennent présenter les particularités de leur religion traditionnelle, qui n’a rien à voir avec le vaudou, mais également des vaudouisants d’outre-Atlantique. Un vaudou syncrétique, qui a été modifié avec le christianisme, en l’occurrence le catholicisme romain inculqué de force aux esclaves pendant le trajet dans les cales des bateaux négriers et qui a donné le vaudou haïtien, le candomblé au Brésil, la santeria à Cuba, le quimbois dans les Grandes Antilles, etc. Cette fête permet de relier les communautés, de part et d’autre des voies de l’esclavage (« l’Atlantique noir »), de mettre en évidence les fondamentaux qui existent entre ces religions.

«Vaudou : l’homme, la nature et les dieux», de Philippe Charlier. Éditions Terre humaine© Éditions Terre humaine

Le sentiment qui ressort de cette fête est une grande fierté de porter encore ces valeurs traditionnelles. Elles ont toutes leurs sens dans le monde contemporain du XXIe siècle, car toutes les questions ne sont pas répondues par les religions du livre, le bouddhisme, l’hindouisme, etc. De plus, ces religions sont en danger, attaquées. Il est important de les protéger.

L’argument touristique et culturel de cette fête est également évident. Le président du Bénin, Patrice Talon, ne s’en cache pas, au contraire ; il en a fait un des chevaux de bataille de sa deuxième présidence : utiliser (dans le bon sens du terme) la culture vaudoue comme un faire-valoir touristique du pays avec la création de musées, dont le Musée des rois d’Abomey et de l’Épopée des Amazones, le Musée commémoratif et mémoriel de l’esclavage, et le Musée du vaudou qui présentera toutes les caractéristiques de cette religion à destination des touristes et de la population locale, comme une sorte de conservatoire de ce savoir. C’est important de parler de la culture vaudoue et pas seulement de la religion vaudoue.

Vous avez été initié il y a une quinzaine d’années. Comment avez-vous vécu cette expérience, quels sont les liens qui vous relient encore à cette expérience ?

Je n’ai pas été initié sur un coup de tête. Il existe des initiations touristiques qui durent une heure, ce sont des ersatz d’initiation, une expérience touristique plus qu’autre chose. Mon expérience a été beaucoup plus longue, doublée d’épreuves comme nombre initiations, avec une mort symbolique et une renaissance.

Cela m’a changé pour plusieurs raisons. Évidemment, je suis resté totalement cartésien, mais cela a changé ma vision du monde. Devant vous, dans ce bureau, vous avez beaucoup d’objets, des statues, des masques, des livres, des pipes (en cours d’étude) qui viennent d’un palais béninois. Rien de tout cela n’est inerte. Les cartes de vœux que vous avez devant vous, quand je les aurais signées, j’aurais mis un peu de moi dedans. Cela n’est pas une tournure d’esprit. Quand vous partirez à la fin de ce rendez-vous, c’est un peu de vous que vous aurez laissé, votre parfum, le sachet de sucre, la chaleur sur votre siège. On laisse toujours une trace de soi. On peut avoir une vision médico-légale, comme Edmont Locard qui parlait de la théorie « des transferts » (tout corps au contact d’un autre corps transfère une partie de lui-même, et vice-versa). Cette vision médico-légale peut se doubler d’une vision métaphysique : la nature entière est animée.

Cela m’a beaucoup aidé dans la compréhension d’objets du musée du quai Branly-Jacques Chirac, et dans la compréhension de faits archéologiques. Lorsque nous fouillons un site sacré avec mon collègue Didier N’Dah, de l’université d’Abomey Calavy, dans les palais des rois à Abomey, cela m’aide à comprendre tel ou tel rituel au passage d’une porte, la consécration d’un tombeau ou d’un temple du souvenir, là où des offrandes ont été faites. Le fait d’avoir été initié me permet de mieux les percevoir, et les décrypter.

Sans révéler des secrets d’initiation, dans la compréhension du quotidien, cela m’aide beaucoup. Je ne vois plus le monde d’une façon inerte et froide, comme auparavant. Pour moi, le monde est rempli d’une énergie circulante, de courants et de forces qui naviguent, et quelques autres qui sont cristallisés. Dans ce bureau, cela peut être focalisé dans ce vêtement d’une ethnie Miao provenant du Vietnam, dans ce bouclier de Bornéo, ou dans ce vêtement de sortie de la forêt sacrée d’un roi Bamiléké du Cameroun… Chacun de ces objets est porteur d’une force, complètement amoindrie car les rituels n’ont pas été entretenus. Mais ce ne sont pas des objets inertes.

Le vaudou véhicule souvent des images négatives et une mauvaise réputation liée à la sorcellerie. Certaines personnes n’hésitent pas à utiliser des fétiches vaudous pour contraindre des personnes à agir contre leur gré comme c’est le cas en Suisse dans un procès relatif à des cas de prostitution forcée, sous la menace de fétiches vaudous.

Lorsqu’on parle de la sorcellerie vaudoue en France, la première image qui vient ce sont les poupées vaudoues, qui n’existent pas dans le vaudou béninois mais à Haïti, où il s’agit d’ailleurs d’une pratique magique de sorcellerie qui est marginale par rapport au vaudou. Dans toutes les religions (catholique, luthérienne, islam, judaïsme et même le bouddhisme), une partie marginale dérive sur de la sorcellerie en utilisant les codes de la religion. Des poupées vaudoues, vous en retrouvez dans la sorcellerie haïtienne mais aussi française : allez au cimetière du Père-Lachaise ou dans le Berry, vous verrez des poupées vaudoues, non pas fabriquées par des vaudouisants, mais par de pseudo-sorcièr(e)s qui utilisent des codes catholiques. Avec une collègue bengali, nous sommes en train d’écrire un article sur le sujet : il existe aussi la même sorte de poupée d’exécration au Rajasthan… et les mêmes existaient en Grèce et à Rome dans l’Antiquité ! C’est finalement assez commun sauf que, pour le coup, il n’y en a pas au Bénin. En revanche, la sorcellerie vaudoue existe, mais cela ne fait pas partie de la religion. Aucune religion ne recommande la pratique de la sorcellerie. Malgré tout, c’est ce qui fait que l’on connaît – négativement – le vaudou.

D’autres personnes critiquent le vaudou à cause des sacrifices d’animaux et notamment des poulets. C’est vrai, la vie d’un poulet en Afrique subsaharienne n’est pas forcément une belle vie, en tout cas cela ne se termine souvent pas bien. Le sacrifice fait partie du principe même de la vitalité des fétiches, la vitalité de l’animal étant transférée par ce sang vif et déposée sur l’autel. L’animal sacrifié est mangé, il n’y a pas de sacrifice « gratuit » de l’animal et sa vie n’est jamais « gâchée ».

Le sacrifice sanglant fait partie du rituel. Parfois, ce n’est pas un coq ni un poulet, mais un bœuf, une chèvre, ou d’autres animaux. Il n’y a pas de sacrifices humains. Cela a pu exister dans les périodes anciennes, aux XVIIe et XVIIIe siècles. On sait qu’il y a eu des sacrifices humains au XIXe siècle sous les rois Glélé et Ghézo, qui présentaient déjà un caractère exceptionnel : lors des grandes coutumes, des prisonniers ou des adversaires capturés étaient décapités, et leur sang était utilisé pour construire des monuments. Évidemment avec un caractère magico-religieux.

Les opposants et les contradicteurs religieux diront que l’on sacrifie des enfants, que les femmes enceintes sont mises à mort, etc. On dit la même chose pour les francs-maçons en France ou ailleurs. Cela fait partie des poncifs utilisés pour critiquer. Cela n’est pourtant pas le cas, ni au Bénin ni à Haïti.

Maintenant, il y a une dernière chose : le pouvoir et la crainte suscités par certains fétiches. Nous sommes du côté de la sorcellerie et non de la religion elle-même. Certains utilisent le pouvoir des vodouns pour faire le mal : forcer certaines personnes à voler, à commettre des crimes et/ou à se prostituer. Aucune religion ne vise à la prostitution de ces membres. Si ce type d’abus peut se dérouler sur place comme à l’étranger, une population dite « déplacée » devient plus vulnérable, avec l’idée de garder ses racines. C’est à nouveau un mésusage – criminel – de la religion.

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