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Handisport : le lien entre athlète et guide à l’épreuve de la distanciation

Habitués au contact étroit avec leur guide, les athlètes déficients visuels n’ont pas reçu le feu vert pour reprendre l’entraînement normalement, distanciation sociale oblige. Trois duos, français et américain, racontent leur gestion de cette séparation prolongée.

Ils sont collés, serrés, toute l’année. Pour les malvoyants, le contact est essentiel. Pendant la course, ils bougent ensemble, tendent vers la synchronisation parfaite. Pour ça, il arrive qu’ils se touchent, les mains, les épaules, les coudes. Ils se parlent, entre deux souffles. Mais à l’heure du Covid-19, tout cela fait froncer les sourcils. Une telle proximité est devenue incompatible avec la lutte contre la propagation du virus.

La Fédération française handisport n’a d’ailleurs pas encore donné le feu vert aux disciplines guidées (en athlétisme et en cyclisme) pour pouvoir s’entraîner dans des conditions normales, pour des raisons sanitaires.

Distanciation de rigueur « jusqu’à nouvel ordre »

« Les risques d’aérosolisation et donc de contamination étant significativement augmentés durant l’effort physique, la Fédération est défavorable à une pratique guidée dans le cadre actuel et jusqu’au terme de la phase 1 du déconfinement, envisagée le 2 juin »indiquait la FFH dans un son plan de déconfinement, le 9 mai. Une décision prolongée par le DTN, Christian Février, jusqu’à nouvel ordre.

Après intervention de la FFH auprès de l’Insep la semaine passée, la situation a évolué. Les athlètes, après avoir passé un bilan de santé, vont pouvoir s’y entraîner de manière distanciée, soit avec un lien beaucoup plus long, soit avec un bâton qui sépare les athlètes de deux couloirs, comme cela est testé au pôle France de Nouméa.

« Je peux faire certaines choses, comme des exercices techniques ou de la vitesse courte, sur 20 ou 30 mètres, mais je suis très vite coincé. »

Timothée Adolphe, quadruple champion d’Europe du 100 m et 200 m.

Ces alternatives ne « permettent pas de courir à pleine vitesse », reconnaît le directeur sportif de l’athlétisme à la FFH, Julien Héricourt, « mais au moins de pouvoir être relié, de faire des gammes, des exercices. » « On ne peut pas être au coude à coude, la Fédération serait pointée du doigt si un athlète était atteint », ajoute-t-il.

Pour Timothée Adolphe (30 ans), qui piaffe d’impatience de retrouver ses guides, l’interdiction passe mal. La présence de Bruno Naprix pour le 100 m et Jeffrey Lami pour le 400 m, est indispensable pour le quadruple champion d’Europe du 100 m et 200 m, qui n’a « plus du tout de potentiel visuel ». « Je peux faire certaines choses, comme des exercices techniques ou de la vitesse courte, sur 20 ou 30 mètres, mais je suis très vite coincé. »

Lami, qui a repris l’entraînement en individuel, aimerait lui aussi retrouver au plus vite son partenaire : « Je pense que ce qui peut nous arriver, c’est d’avoir perdu l’habitude de courir à deux. Il va peut-être avoir oublié ma foulée, moi sa manière de courir. Il va falloir réapprendre à se connaître. » Surtout sur 400 m, « une course stratégique, où il faut gérer, l’allure, les virages, nos fatigues ».

L’appréhension n’est pas si forte chez Trésor Makunda, qui prépare, à 37 ans, ses quatrièmes Jeux. Son handicap, moindre que celui d’Adolphe, peut lui permettre plus de choses. Le quadruple médaillé paralympique a d’ailleurs déjà repris le footing avec son beau-frère.

« On court ensemble depuis si longtemps, c’est comme le vélo. […] Quand on se retrouvera, cette fusion va exploser pour atteindre un tout autre niveau »

L’Américain David Brown (titré sur 100m à Rio) au sujet de son guide Jerome Avery

Les Américains David Brown (27 ans) et Jerome Avery (41 ans), détenteurs du record du monde de la catégorie T11, en 10 »92, eux, n’ont peur de rien. « On court ensemble depuis si longtemps, c’est comme le vélo. Pour l’instant, on continue de se concentrer sur l’entretien de notre forme. Quand on se retrouvera, cette fusion va exploser pour atteindre un tout autre niveau », promet Brown avec emphase.

Les champions paralympiques du 100m à Rio avaient même anticipé le confinement. « Avant que l’on ne commence à en entendre parler, on avait commencé à prendre nos distances, à ne pas toujours s’entraîner avec l’attache, raconte Jerome Avery. Dès que le confinement a été prononcé (le 19 mars en Californie, où ils sont basés), David a demandé : « Ok, à quelle heure on s’entraîne ? » Peu importe les conditions, on doit toujours trouver des moyens de travailler. »

https://twitter.com/USParalympics/status/1192158660186775552

Le guide de David Brown ne se prive pas de louer les capacités de concentration de son binôme, très autonome malgré son handicap : « Avant que je m’associe à lui (en 2010), il courait seul, avec son coach qui le guidait en tapant dans les mains, David courait droit vers lui. Il est très fort pour ça. Je parie qu’il est capable de courir un 100 m comme ça. Et il fait la même chose maintenant, il revient aux basiques. Il est concentré sur lui, et quand on est concentré sur soi, le ciel est la limite. »

Bientôt les grandes retrouvailles

Le succès d’une paire découle souvent d’un lien, particulier, bien plus profondque la fine poignée de 10 cm qu’ils serrent au creux de la main. Athlètes malvoyants et guides ont traversé le confinement et sa sortie en se raccrochant tant bien que mal à ce fil qui n’avait jamais été aussi longtemps suspendu dans les airs, au gré des ondes wi-fi.

« On a tout fait pour garder le lien, par messages, téléphone ou par visio, on essayait de faire des séances de renforcement ensemble, raconte Trésor Makunda. C’est primordial. Je dis souvent que c’est une vraie amitié qui se construit, avec Emeric (Chattey, son guide depuis 2011), elle est construite depuis longtemps, avec Lucas (Mathonat, arrivé il y a six mois), on est en train de la construire, donc c’est important de garder cet échange. »

Ces deux mois ont été une façon inédite d’éprouver ces relations « fraternelles », dixit Adolphe. « C’était une période difficile pour tous et notamment les sportifs de haut niveau dans leur pratique, remarque Makunda. Nous, on a pu s’appuyer sur ce lien pour pouvoir atténuer cette difficulté. » « C’est ce qui nous permet d’exceller et de sprinter aussi bien ensemble », résume Avery. « Même sans attache », conclut Brown.

En attendant un assouplissement des règles lié à un recul de l’épidémie, sprinteurs et guides prennent donc leur mal en patience avant les grandes retrouvailles.

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