CULTURE / ARTHISTOIRE

VILLAGE DE SEDDO SEBBE : Une «enclave» Wolof en pays Toucouleur

C’est l’histoire d’une frange de la population du Jolof qui a décidé de fuir les atrocités de la guerre dans le royaume éponyme. Celle-ci plie bagages et avoirs pour prendre la destination du Fuuta. Aujourd’hui, pas moins de huit villages sont majoritairement habités par des Wolofs en pays Toucouleur. Seddo Sebbé est de ce lot. Maniant les deux langues avec la même aisance, ces Jolof-Jolofs se revendiquent Foutanké. Découverte d’une minorité qui vit bien son intégration dans le Fuuta.

«Ma mère est Pulaar, mon père est Wolof. Ne me demandez surtout pas de quelle ethnie je me réclame. Je suis le mélange des deux», lance, avec un large sourire, Aissata Diop, en Pulaar. La dame dégage une mine enthousiaste. En ce début de matinée, munie de son râteau, elle rejoint le jardin communautaire situé juste à l’entrée du village. S’étendant sur deux hectares, l’aménagement maraîcher grouille de monde, majoritairement des femmes. Dans un admirable consensus, sur fond d’ambiance détendue, on jardine. La haute température n’altère nullement la bonne humeur et l’esprit d’initiative. Des rires fusent de partout. Les échanges sont teintés de courtoisie. On alterne entre la langue wolof et la langue pulaar. Indifféremment. Et tout le monde se comprend. Il en est ainsi à Seddo Sebbé, un des huit villages du Fuuta habités, en majorité, par des populations Wolof. Dans ce milieu pularophone, ils ont gardé intactes leur langue et leur culture, tout en s’appropriant celles de leur terroir d’accueil. Une belle prouesse dans une contrée réputée pour son homogénéité linguistique et culturelle.

Seddo Sebbe, c’est l’histoire d’une communauté wolof qui a fui les guerres au Jolof pour trouver de la quiétude, un peu plus au nord, en pays toucouleur, selon Baba Ndom, un des grands notables du village. Ce qui laisse penser que la présence de ces Wolofs à Seddo Sebbé n’est pas le résultat du peuplement résiduel de la Moyenne vallée lorsque les Wolofs cohabitaient avec les Peuls, Mandingues, Maures, Sérères, Soninkés et Toucouleurs avant de se déplacer vers le centre et relativement vers l’ouest. Les patronymes les plus courants témoignent de cette origine Jolof-Jolof des habitants de Seddo Sebbé. Ici, les noms résonnent : Ndiaye, Mangane, Thiam, Cissé, Sébor, Kobor, Guèye, Sarr, Ladjiane, Diop, Ndom…Dans cette localité du Fuuta ressort un exemple type d’intégration de minorités parmi les plus réussies.

Seddo Sebbé est situé du côté du Diéry, dans la commune de Nabadji, département de Matam. Il est relié à la Route nationalen°2, juste après les localités de Boynadji et de Bokissaboudou, par une piste latéritique longue de trois kilomètres. «Nos ancêtres ont quitté le Jolof pour rejoindre le Fuuta, il y a longtemps. Il est difficile de dater notre présence ici, mais toujours est-il que même nos arrières grands-parents sont nés ici. Quand nos aïeuls sont arrivés, ils ont été bien accueillis par les autochtones. En guise de bienvenue, ces derniers ont mis à leur disposition des terres pour leur habitation etleurs activités champêtres. Nous n’avons plus jamais quitté les lieux», confie Amath Ndiaye, trouvé dans le jardin communautaire. Sadio, Dodji, Yang-Yang, Barkédji, c’est par vagues successives que les premiers habitants Wolofs de Seddo Sebbé sont arrivés, ajoute-t-il. Baba Ndom confirme cette version. «La guerre faisait rage au Jolof avec son lot de morts. Certains survivants ont donc décidé de trouver refuge dans un endroit paisible. A l’époque, c’est le Fuuta qui offrait ce havre de paix», ajoute-t-il.
Un bel exemple d’intégration

Au tout début, les Wolofs s’étaient repliés sur eux-mêmes. Un réflexe commun à toutes les communautés minoritaires lorsqu’elles arrivent quelque part. Même s’ils ont toujours entretenu d’excellentes relations avec les Toucouleurs, toutefois, les deux communautés ne se mariaient pas entre elles, souligne Baba Ndom. Aujourd’hui, cette époque est révolue. Toucouleurs et Wolofs s’unissent pour le pire et le meilleur dans les liens du mariage et les enfants issus de ces unions se réclament des deux communautés. Le couple Thiam en est la parfaite illustration. Le mari, Alassane, est wolof, son épouse Fatou Ndiaye est pulaar. Les deux conjoints savourent leur bonheur depuis plusieurs années déjà.

Mais d’où vient l’appellation «Seddo Sebbe»? Selon Baba Ndom,«Seddo» signifie en Pulaar  «arrivant» et «Sebbé» veut dire «Wolof». C’est sans doute pour faire la différence avec l’autre «Seddo» voisine, «Seddo Abass» où la population est à dominante Toucouleur pour ne pas dire exclusivement, que le substantif «Sebbé» y a été ajouté. Il n’empêche, il est quasi impossible de déterminer la ligne de démarcation entre ces deux villages. Les maisons s’entremêlent. La seule façon de les distinguer, c’est l’emplacement des mosquées.

Outre Seddo Sebbé, d’autres villages du Fuuta sont habités, en majorité, par des Wolofs. Et tous sont venus dans les mêmes conditions que ceux de Seddo Sebbé. Il y a Taiba, Thiel Padé, Saréliou, Thiarène, Diengue, Mogo, Deuk bou reuy (appelé aussi Saré Mawndé), Lougué Wolof.

Le premier point de chute des populations Wolof de Seddo Sebbé serait  «Saradi», localité située près d’un grand cours d’eau. «Les Wolofs ne savaient pas nager et ils dénombraient souvent des cas de noyades. C’est ainsi qu’ils ont décidé de quitter la rive. Etant plus aptes aux activités de la chasse, ils ont préféré se rapprocher de la forêt, tout en cherchant un endroit où l’eau serait à leur portée. Dans leur pérégrination, ils ont atterri à Seddo», informe Ndom.

Foutankés authentiques et à part entière, les Seddonabé n’en renient pas pour autant leur origine. Les Ndom, par exemple, viennent de Sadio, les Cobor de Yang-Yang, les Thiéléne de Warkhokh, souligne-t-il. Dans la pratique des rites culturels, s’opère un brassage entre pratiques wolof et pulaar. Une approche du «donner et du recevoir, synthèse de deux cultures fortement ancrées dans les habitudes».

Par ailleurs, l’attache avec les parents du Jolof est rompue. «Il est, cependant, courant de rencontrer des Ndom ;à force d’échange, nous parvenons à rétablir les liens de parenté. Avec l’avènement des réseaux sociaux, les jeunes ont créé des groupes d’échange. Cette initiative a permis de renouer avec des Ndom de Touba, Mbour, Thiès et partout ailleurs», souligne le patriarche. Cette double culture, les habitants de Seddo Sebbé l’assument avec fierté. «Je suis Wolof, certes, mais je me sens 100 % Fuutanké», dit Baba Ndom.

La contrée compte une forte communauté d’émigrés repartis dans différents pays d’Afrique, d’Europe et des Etats-Unis. Cette diaspora seddoise, bien organisée, contribue largement au développement de la localité à travers la construction d’infrastructures sociales de base. «Le collège, le lycée, le dispensaire ont été financés grâce à l’argent de nos émigrés», informe Ndom.

Baba Ndom : Le bon samaritain

Après 40 ans passés en France, Baba Ndom est retourné définitivement dans son Seddo Sebbé natal pour se «reposer» et investir dans l’agriculture et l’élevage.

A Seddo Sebbé, tout le monde connaît son nom. Il suffit de demander pour qu’on vous conduise jusqu’à sa vaste demeure située à l’arrière-village au bien nommé quartier Santhiane (les nouveaux habitats, en wolof et aussi en pulaar). Mise sobre, barbe blanche, l’homme de 72 ans dégage une étonnante vigueur. Les quarante années qu’il a passées à travailler dans les usines en France ont eu finalement peu de répercussions sur son corps.

Comme bon nombre de gens de Seddo Sebbé et du Fuuta en général, Baba Ndom a très tôt pris le chemin de l’émigration. C’était en 1969. Mais il lui a fallu quatre ans pour atteindre l’Hexagone, en 1973. «Je suis allé au Cameroun par la route. J’y suis resté quatre ans avant que l’opportunité de s’envoler vers la France ne se présente», se rappelle celui qui aime se faire appeler «Wolof Fuutanké». Sa pérégrination terrestre vers le Cameroun l’a d’abord mené au Mali, en Côte d’Ivoire (où il est resté sept mois), au Ghana, au Togo, au Bénin et au Nigéria. «C’était une grande aventure. Au Cameroun où je faisais du commerce, j’avais fini par me lier d’amitié avec Bouba Bello, neveu du Président de l’époque Ahmadou Ahidjo. J’avais toutes les raisons d’y rester, mais mon objectif en quittant mon village, c’était d’aller en France», confie Baba Ndom.

A force de sacrifices donc, il est arrivé à ses fins. Un jour de l’année 1973, il débarque dans le 12ème Arrondissement de Paris, appelé aussi Gare de Lyon, alors qu’il ne parle un traitre mot de français. Mais il en fallait plus pour saper la détermination de Baba Ndom. Dans sa quête de se construire un destin, il n’hésite pas à s’éloigner de Paris pour explorer la France des profondeurs quand il le faut. Ainsi, il s’est retrouvé quelques temps à Nantes, avant de revenir à la capitale mais, cette fois-ci, à la périphérie, c’est-à-dire à Creil, la banlieue parisienne. Il ne quittera plus cette zone où le rejoindra sa première femme quelques années plus tard. Cinq de ses enfants y sont nés et il compte aujourd’hui une ribambelle de petits-enfants. Las de cette vie parisienne, il décide de rentrer définitivement au Sénégal en 2006. Et pourtant, il était juste venu en vacances. C’est une fois sur place que l’idée de ne plus retourner en France l’a habité et définitivement gagné. «J’ai d’abord repoussé mon retour de trois mois. Au bout de ces trois mois, j’ai encore prolongé mon séjour pour finalement décider de rester. C’est comme ça que j’ai annulé mon billet retour», raconte-t-il.
Sur les raisons de son choix, le vieil homme parle d’une certaine «paix intérieure» qu’il aurait retrouvée en revenant dans son village natal. En tout cas, la France ne semble pas lui manquer, d’autant plus que ses enfants et petits-enfants reviennent très souvent au village. Ce qui est largement suffisant à son bonheur de père et de grand-père. Et il est d’autant plus épanoui qu’il s’adonne depuis lors à ses deux passions : l’agriculture et l’élevage. Deux secteurs dans lesquels il a beaucoup investi.

Si aujourd’hui le village de Seddo Sebbé dispose d’un jardin communautaire, c’est en partie grâce au vieux «Francenabé», comme on appelle les émigrés sénégalais en France dans le Fuuta. Mais Baba Ndom, c’est aussi un bon samaritain qui n’hésite pas à prêter de l’argent à certains ressortissants du village qui souhaitent investir dans l’agriculture. Son acte a fait des émules en ce sens que, aujourd’hui, c’est la caisse du village, alimentée par les envois de la diaspora de Seddo Sebbé, qui octroie des financements sans intérêts à ceux qui veulent investir dans la terre ou dans toutes autres activités génératrices de revenus.

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