« Vous pouvez arracher l’homme au pays, vous ne pouvez pas arracher le pays

« Vous pouvez arracher l’homme au pays, vous ne pouvez pas arracher le pays
du cœur de I ‘homme. »
II y a dans les « Mémoires d’un Titi de Lam-Lam au pays de Marianne » au moins deux dimensions : l’une s’apparente à un journal parce qu‘elle est jalonnée de dates et d‘années précises mais également d’évènements vécus et d’acteurs connus ; l’autre renvoie plutôt à un récit, un parcours de vie qui présente les faits racontés, les commente, les transforme en une fiction romanesque, avec la possibilité, pour l’auteur, de les amplifier et de les modifier à sa guise. II ne s’agit donc, ici, ni plus ni moins que d’une simple collection de souvenirs dont l’auteur est, le plus souvent, le témoin privilégié, voire l‘auteur principal. Ces mémoires sont alors, pour reprendre les termes de Ludmilla Charles Wurtz, « toutes Les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités » que peut contenir la mémoire de l’auteur, Monsieur Amadou Diallo, qui prend la parole pour préserver sa mémoire contre l’oubli mais aussi et surtout, pour se libérer et pour soulager sa conscience. En effet, il y a, dans la vie, des expériences que l‘on n’oublie pas et qui sont destinées à être partagées. Et, celles qui sont ici rapportées en font partie.
Amadou Diallo est un fils de la campagne sénégalaise à laquelle il est intiment rattaché. II y a été élevé selon les valeurs cardinales du pulaagu qui est une notion aussi vieille que le premier ancêtre peul et qui survit en chaque membre de ce groupe ethnique. Ainsi ce dernier a la lourde tâche de veiller à son application dans tous les détails de sa vie quotidienne, dans sa famille comme vis-à-vis de ses voisins et des étrangers. Les hommes ont la responsabilité d’en diffuser les règles tandis que les femmes ont la tâche de veiller à son application. Le pulaagu se manifeste au plan moral et social.
Au plan moral, il est caractérisé par les traits suivants : fierté, orgueil, sens de l’honneur, droiture, générosité et courage, toutes choses qui trouvent leurs fondements dans le statut social du peul qui est, par essence, noble.
Au plan social, le pulaagu se traduit par la solidarité, le respect et la considération profonde à l‘endroit de toute personne et plus particulièrement des personnes de même condition.
Imbu de toutes ces valeurs, le jeune Amadou débarque, un matin, à Paris. Il est bénéficiaire d’une bourse du Sénégal et doit y poursuivre des études supérieures en sciences juridiques et de relations internationales, entamées à l’Université de Dakar.
Or, il y a des valeurs qui vous façonnent une âme. Celles du pulaagu ont fini de conférer au jeune étudiant un caractère trempé à un tel degré qu’il est maintenant préparé à affronter la dure loi de la vie à Paris. Cela commence avec les difficiles péripéties du voyage : la séparation avec la famille, I’ éloignement,
I ‘appréhension de I’ inconnu, la peur de décevoir). Ces sentiments sont exacerbés par la grande déception à 1 ‘arrivée à Paris, ainsi que la terrible désillusion (il n ‘y a personne à l’accueil ; même pas l’ombre du présumé tuteur à l’adresse indiquée).
Alors, tel le phénix qui renait de ses cendres, les valeurs cardinales du pulaagu resurgissent et rappellent au jeune peul qu’il n’est pas né pour mourir aussi facilement. II doit lutter contre les difficultés, de quelque nature qu‘elles soient, à l‘image du petit berger qui conduit, seul, son immense troupeau dans les forêts profondes. Dès lors, il ne suffit pas seulement de lutter, dans ce milieu hostile, pour sa survie mais aussi de se battre par tous les moyens légaux contre l‘injustice et l’hypocrisie ; lutter pour faire respecter les droits humains ; lutter pour dénoncer toutes les inégalités qui gangrènent le pays de Marianne dont, paradoxalement la devise est Liberté, Egalité, Fraternité.
Ces maux ont un nom :
– Le traitement inhumain réservé aux émigrés subsahariens notamment, pour qui l‘accès à un logement décent relève
d’un véritable parcours du combattant ;
- L‘ignominie d’un racisme sournois qui établit qu’un ancien combattant africain ne puisse pas bénéficier du même salaire que son camarade français ;
- Le vol organisé autour du Franc CFA par l ‘ancienne
puissance colonisatrice.
En définitive, on peut dire que I ’expérience de Titi de Lam-Lam au pays de Marianne s’est faite dans la douleur et la souffrance. De ce point de vue, on retiendra qu’elle lui a enseigné les possibilités et les limites d’un homme déterminé à se battre pour surmonter les obstacles et atteindre ses objectifs, quelque soit, par ailleurs I’ environnement dans lequel ce combat a été mené.
Titi a-t-il réussi son pari ? Ce qui est certain, c’est qu’il a lutté de tout son corps et de toute son âme. Et, comme disait l’autre, « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ».
Mamadou Ndiaye
Professeur titulaire des Universités
Lauréat de l’UNESCO pour la Littérature dans les langues africaines
Ordre National du Lion