AFRIQUE

Xavière Prugnard (FIACAT): «Seuls 15 pays maintiennent encore la peine de mort en Afrique»

L’Assemblée nationale de Sierra Léone a décidé le 23 juillet dernier d’abolir la peine de mort. Une peine qui sera remplacée par la perpétuité ou un emprisonnement d’au moins 30 ans. Une véritable avancée pour ce pays d’Afrique de l’Ouest qui avait, selon l’ONU, condamné 84 personnes à la peine capitale entre 2016 et 2020. Au Tchad, les députés l’avaient eux aussi aboli en 2020. En avril dernier, c’est la Cour suprême du Malawi qui a jugé la peine capitale inconstitutionnelle l’abolissant de fait. Y’a-t-il du coup un phénomène abolitionniste de fond sur le continent ? Combien de pays la pratiquent encore ? Xavière Prugnard, responsable du programme peine de mort à la FIACAT, la Fédération internationale de l’action des chrétiens pour l’abolition de la torture, fait le point sur le dossier.

RFI: La Sierra Leone a récemment aboli la peine de mort. Le Malawi avait fait de même, en avril, tout comme le Tchad, l’an passé. Y-a-t-il un mouvement de fond sur le continent pour mettre un terme à la peine capitale ?

Xavière Prugnard: En effet, on assiste depuis quelques années à une dynamique abolitionniste sur le continent africain. Il faut rappeler qu’en 1990, il y a donc trente ans, seul un État africain avait aboli la peine de mort : le Cap Vert. Et en l’espace d’une trentaine d’années, nous avons vingt-quatre États en Afrique qui ont aboli la peine de mort, en droit, seize qui pratiquent un moratoire sur les exécutions et seuls quinze pays qui maintiennent la peine de mort au sein de l’Union africaine.

Donc 24 pays qui l’ont abolie et 16 autres États qui sont considérés comme abolitionnistes de fait, parce qu’ils n’ont plus recours à la peine de mort ?

On les considère comme abolitionnistes de fait, parce qu’ils n’ont pas exécuté, depuis plus de dix ans, et parce que dans le même temps, les instances dirigeantes, les gouvernements, prennent des engagements abolitionnistes sur la scène internationale, régionale ou nationale.

Ce qui est assez paradoxal, c’est que nombre d’États abolitionnistes, en pratique, continuent de prononcer des condamnations à mort. On l’a encore vu récemment au Niger.

C’est sûr que c’est un statut quo qui convient particulièrement bien aux États. C’est un statut quo qu’on retrouve également au Cameroun qui est l’État abolitionniste de facto qui condamne le plus en Afrique francophone.

C’est une situation sur laquelle, nous société civile, essayons d’agir. On plaide, on milite pour que des engagements soient pris au niveau politique et au niveau judiciaire pour concrétiser l’abolition de la peine de mort, puisqu’un moratoire, au final, ne sécurise pas du tout l’abolition de la peine de mort. On peut aussi observer des retours en arrière comme ce fut le cas en Gambie, par exemple.

Constate-t-on des différences entre les régions du continent ?

C’est sûr qu’au niveau de l’Afrique de l’Ouest, on a des pays qui, dans une plus large mesure, ont aboli la peine de mort en droit et en fait. Et au niveau de l’Afrique de l’Est, il y a plus d’États rétentionnistes et d’États, du coup, qui exécutent. On n’a pas forcément d’explications. Ce sont aussi des zones d’influence. Ceci étant, on voit que parmi les États africains membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie, près de 90 % des États africains ont aboli la peine de mort.

Quels sont les États qui exécutent le plus encore aujourd’hui ?

En Afrique, on va avoir le Botswana, l’Égypte, la Somalie et le Soudan du Sud qui sont des États qui chaque année procèdent à des exécutions, avec également un nombre de condamnations extrêmement important. Ce sont des États sur lesquels la discussion d’abolir la peine de mort, la discussion entre la société civile et les autorités est rendue même impossible.

Un rapport d’Amnesty International en 2018 montrait qu’on condamnait encore beaucoup à mort sur le continent, mais qu’au final, on exécutait assez peu. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

Oui, c’est toujours le cas. Le nombre d’exécutions a diminué et l’an dernier, on a eu la plus grosse baisse, depuis dix ans. Cette baisse du nombre d’exécutions s’accompagne d’une baisse du nombre de condamnations.

Dans les pays qui ont aboli, il n’y a en principe plus d’exécutions ?

Oui exactement ! Plus aucune exécution légale.

Plus aucune exécution légale, est-ce à dire que vous avez constaté des exécutions illégales ?

Oui, c’est ce que l’on appelle les exécutions extra-judiciaires. C’est également une violation du droit à la vie, à l’instar de la peine de mort. L’exécution extra-judiciaire est un homicide commis par un agent de l’État sans procès préalable.

Les exécutions extra-judiciaires, on les observe avant l’abolition de la peine de mort, mais elles perdurent après l’abolition. Ces situations préexistent à l’abolition, et l’abolition n’est pas leur origine. En revanche, une fois que l’abolition de la peine de mort arrive dans un État, ce n’est pas une fin en soi, il y a tout un combat et tout un travail également qui nécessitent une vigilance de la part des États et de la société civile.

Il y a un autre phénomène qui est bien entendu différent de la peine de mort, mais qu’on observe, notamment au Togo et à Madagascar : c’est la vindicte populaire. C’est un phénomène social où la population décide de se rendre elle-même justice. Cela passe par des lynchages, et également par des mises à mort. Ce sont des situations qui préexistent à l’abolition de la peine de mort, mais pour lesquelles il faut être absolument vigilent, parce que l’abolition de la peine de mort peut être perçue comme une justice plus faible de la part de la population.

Y-a-t-il d’autres pays en passe d’abolir la peine de mort ?

Oui, il y a plusieurs pays que l’on surveille comme le lait sur le feu. On a la République centrafricaine. Dans son discours d’investiture, le 30 mars dernier, le président Faustin Archange Touadéra a affirmé qu’il allait poursuivre les efforts pour abolir la peine de mort. En l’espace de 15 jours, une proposition de loi portant abolition de la peine de mort avait été reprogrammée à l’ordre du jour de l’Assemblée centrafricaine. Malheureusement, l’examen de celle-ci a été reporté au dernier moment. Nous attendons que cette proposition de loi soit réinscrite à l’ordre du jour.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page