DÉCRETS DE NOMINATION ILLÉGAUX : « L’IGE AVAIT SONNÉ L’ALERTE DANS UN RAPPORT PUBLIC EN 2014 », SELON SEYBANI SOUGOU

Institution
Supérieure de Contrôle de l’Ordre administratif, l’Inspection générale
d’Etat est placée sous l’autorité directe du Président de la République
et produit, à sa demande, des rapports confidentiels d’inspection ou de
vérification estampillés « secret défense ». Néanmoins, L’IGE est tenue
de présenter, chaque année, un Rapport public sur l’Etat de la
Gouvernance et de la Reddition des Comptes, dans le respect du droit à
l’information des citoyens consacré par l’article 8 de la Constitution
et par l’article 9 de la loi n° 2011-14 du 8 juillet 2011 abrogeant et
remplaçant la loi n° 2005-23 du 11 août 2005 portant statut des
Inspecteurs généraux d’Etat, modifiée par la loi n° 2007-17 du 19
février 2007. A ce jour (29 octobre 2019), les rapports d’activités
2016, 2017, et 2018 sur l’Etat de la Gouvernance et de la Reddition des
Comptes, n’ont fait l’objet d’aucune publication.
Le rapport public
2014 sur l’Etat de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes met à
nu des pratiques illégales dans le domaine de la gouvernance
administrative et fait état de violations extrêmement graves, des
dispositions légales, en matière d’élaboration des actes réglementaires.
Le constat établi par l’IGE relatif à la création et à la répartition
des services par décret, est consternant (cf pages 28 et 45 du rapport):
« le décret portant répartition des services de l’Etat est détourné de
son objectif. En effet, le recours à un tel décret, pour « créer » de
nouvelles agences apparaît comme un moyen de contourner l’obligation
légale de réaliser l’étude préalable d’opportunité et d’impact, prévue à
l’article 2, dernier alinéa, de la loi d’orientation n°2009-20 du 04
mai 2009 sur les agences d’exécution ». Plus grave, les pages 30 à 36 du
rapport 2014 mettent en avant un incroyable laxisme administratif qui
relève de l’amateurisme, voire du banditisme d’état, concernant les
nominations. Dans son rapport, l’IGE a énuméré une liste impressionnante
de dysfonctionnements et de nombreux cas de violations et de
détournement de la loi :
L’antériorité de la date de signature de
certains décrets de nomination par rapport à la date du Conseil des
Ministres au cours duquel ces décisions de nomination ont été prises
(autrement dit, des décrets de nomination sont antidatés ; une fraude
administrative d’une extrême gravité) ;
La nomination par décret, à
de hautes fonctions, de personnes ne remplissant pas les critères
requis, notamment la qualité de fonctionnaire et l’appartenance à la
hiérarchie exigée ;
La nomination en qualité de Secrétaire général de
département ministériel, de contractuels ou d’agents non fonctionnaires
de la hiérarchie A, en violation de l’article 2 alinéa 2 du décret n°
2002-1173 du 23 décembre 2002 instituant un secrétaire général dans
certains ministères
La nomination à de hautes fonctions, de personnes
sous le coup de sanctions administratives prononcées, notamment, à la
suite de rapports de vérification de l’IGE ;
La nomination de consuls généraux n’ayant pas une formation appropriée en matière administrative et financière ;
La
nomination dans un des départements ministériels les plus importants,
d’une personne n’ayant aucun lien avec l’Administration à un poste de
responsabilité de la gestion des ressources publiques.
La sentence de
l’IGE consignée, aux pages 36 et 56 du rapport 2014 est claire, nette
et sans appel : « Le manque de rigueur dans la conduite des enquêtes de
moralité, le défaut de consultation de l’IGE, les défaillances du
processus décisionnel, conduisent à des dysfonctionnements dans
l’élaboration des actes réglementaires et plus spécialement, dans celle
des actes de nomination. Le constat est que ces actes sont régulièrement
posés, en contradiction flagrante avec les dispositions législatives et
réglementaires en vigueur. L’Administration viole ses propres règles,
s’exposant à des recours qui peuvent affaiblir l’autorité de l’Etat ».
Plus inquiétant, L’IGE (un corps d’élite prestigieux) elle-même n’est
pas épargnée par les pratiques déviantes du régime (politisation à
outrance du corps) ; certains inspecteurs généraux d’état, étant membres
du parti au pouvoir en violation totale de la loi. En effet, l’article
19 de la Loi n° 2011-14 du 8 juillet 2011 abrogeant et remplaçant la loi
n° 2005-23 du 11 août 2005 portant statut des Inspecteurs généraux
d’Etat, modifiée par la loi n° 2007-17 du 19 février 2007 qui précise «
qu’il est interdit aux Inspecteurs généraux d’Etat en activité,
d’appartenir à un syndicat ou à un parti politique et, de façon
générale, d’exercer des activités incompatibles avec leur statut ». Il
est de notoriété publique que les inspecteurs généraux d’état Cheikh Awa
Balla Fall coopté (nommé au tour extérieur) et Makhtar Cissé exercent
des fonctions politiques officielles, en leur qualité des membres du
parti au pouvoir (APR). Or, Cheikh Awa Balla Fall qui avait mis en place
le mouvement « Mobilisation pour un deuxième Mandat (M2M) » et Makhtar
Cissé qui a intégré le Secrétariat Exécutif National (SEN) de l’APR ne
sont plus en mesure d’exercer la fonction d’Inspecteur général d’état
avec la rigueur, la probité, l’objectivité, l’impartialité la neutralité
et l’indépendance requises, conformément aux dispositions de l’article
16 de la Loi n° 2011-14 du 8 juillet 2011 qui dispose que « Les
inspecteurs généraux d’Etat doivent, en toutes circonstances, faire
preuve de la réserve et de la dignité qu’implique leur fonction ».
Mieux, l’article 20 de ladite loi précise « qu’aucun conflit d’intérêt
ne doit exister entre les Inspecteurs généraux d’Etat et les missions
qu’ils exercent », créant une incompatibilité de fait entre la fonction
politique et la fonction d’inspecteur d’état.
Né le 24 septembre
1958, Cheikh Awa Balla Fall, a été nommé au tour extérieur, par décret
du Président de la République (récompensé pour avoir créé un mouvement
politique pour la réélection de Macky Sall). Une flagrante illégalité.
Par ailleurs, l’article 11 de la loi n° 2011-14 du 8 juillet 2011
dispose que le Président de la République peut nommer dans les fonctions
d’Inspecteur général d’Etat des fonctionnaires, magistrats et officiers
supérieurs des Forces armées appartenant aux niveaux hiérarchiques A1…
comptant une ancienneté de 15 ans au moins et âgés au plus de 60 ans.
Or, lorsqu’il a été nommé Inspecteur d’état en mai 2019, Cheikh Awa
Balla Fall a dépassé la limite d’âge, puisqu’il a atteint ses 60 ans,
exactement le 24 septembre 2018. Il ne s’agit pas des seules illégalités
recensées, puisqu’à moins de faire preuve d’une incompétence notoire,
Macky Sall n’est pas censé ignorer qu’il violait l’article 19 de la Loi
n° 2011-14 du 8 juillet 2011 en le nommant à l’IGE. Au demeurant, Macky
Sall est-il incompétent au point de ne pas savoir que les nominations au
tour extérieur doivent être soumises à la commission consultative de
l’IGE, en vertu du Décret n° 2007-809 du 18 juin 2007 fixant les règles
d’organisation et de fonctionnement de l’IGE ? Enfin, l’intéressé Cheikh
Awa Balla Fall, est-il inconscient au point d’ignorer que l’article 22
de la loi du 8 juillet 2011 qui dispose que « Les Inspecteurs généraux
d’Etat exercent leur fonction à temps plein et qu’en aucun cas et sous
aucun prétexte ils ne peuvent les cumuler avec toute autre fonction
publique ou privée » interdit le cumul avec la fonction de Directeur de
l’ENA ? Au vu de toutes les illégalités précitées, qu’attend donc M. Awa
Balla Fall pour quitter l’IGE où il n’a pas sa place ?
Quant à
Makhtar Cissé, bien qu’il soit actuellement en position de détachement
de l’IGE, il a perdu de fait, son statut d’Inspecteur Général d’état en
adhérant à l’APR et en intégrant le Secrétariat Exécutif National du
parti au pouvoir, puisque l’article 19 de la Loi précitée interdit
formellement « aux Inspecteurs généraux d’Etat en activité, d’appartenir
à un parti politique. Il convient de préciser que le détachement n’est
pas une cessation d’activité mais « la position du fonctionnaire placé
hors de son corps d’origine et continuant à bénéficier dans ce corps de
ses droits à avancement et retraite ». Malgré son détachement, Makhtar
Cissé fait toujours partie des effectifs de l’IGE. Comme l’ancien
Inspecteur d’Etat Abdoulaye Baldé qui avait démissionné de sa fonction
en 2009, Makhtar Cissé doit tirer les conséquences de son choix et
démissionner de l’IGE, sans délai. C’est une question d’éthique, de
dignité et de respect de la loi. Ses tentatives de justification
(maladroites) sur le fait qu’il n’est pas dans une position
d’éligibilité qui le contraindrait à démissionner de l’IGE sont
absurdes, infondées et totalement irrecevables. L’article 19 de la Loi
n° 2011-14 du 8 juillet 2011 ne traite pas de l’éligibilité, mais de
l’incompatibilité entre fonction politique et fonction d’inspecteur
général d’état. C’est clair et net : le statut de l’Inspecteur d’état
interdit strictement l’appartenance à un parti politique. On ne peut pas
un jour, être membre d’un parti politique, et un autre jour affirmer
qu’on peut revêtir le manteau d’inspecteur Général de l’IGE ; un statut
qui exige une neutralité permanente. Le statut d’inspecteur d’Etat n’est
pas un statut à la carte (inspecteur le lundi, politicien le mardi,
etc…).
Dans son rapport public 2013, sur l’Etat
de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes, l’IGE avait dénoncé
(cf pages 148 et 149) la politisation à outrance de la haute
administration publique en ces termes : « le fonctionnaire politisé ne
sera pas en mesure d’éviter les conflits d’intérêts du fait de son
implication quotidienne dans les affaires politiques, et n’inspirera
aucune confiance dans les arbitrages qu’il fera dans le cadre de son
travail, étant à la fois juge et partie ».
Au vu de tout ce qui
précède, et afin de préserver la neutralité, l’indépendance, et le
prestige de l’IGE (un corps d’élite composé d’inspecteurs impartiaux et
intègres), Cheikh Awa Balla Fall et Makhtar Cissé qui ont intégré un
parti politique, en violation totale de l’article 19 de la Loi n°
2011-14 du 8 juillet 2011 doivent démissionner de l’IGE. Sans délai.
Puisqu’ils ont choisi le parti (APR) au détriment de la patrie.
A
défaut, le Vérificateur Général du Sénégal, M. François COLLIN doit
prendre l’initiative de les faire démissionner (en adressant un courrier
circonstancié à Macky Sall, pour lui rappeler le sens et la portée de
l’article 19 précité). Car, c’est la crédibilité de l’Institution qui
est désormais en jeu.
En conclusion, il convient de tordre le cou à
une légende qui attribue à Macky Sall des pouvoirs exorbitants, et
illimités en matière de nomination. Le pouvoir de nomination consacré à
l’article 44 de la Constitution (le président nomme aux emplois civils)
n’est pas un pouvoir absolu et n’est pas une prime à l’arbitraire. Ce
pouvoir discrétionnaire est strictement encadré par les textes : Macky
Sall ne peut pas nommer n’importe qui à l’IGE (la nomination doit
respecter certains critères généraux) ou démettre un citoyen de ses
fonctions n’importe comment (par ex, le directeur des droits humains
Moustapha Ka, limogé récemment suite à son intervention devant le Comité
des Nations Unies avait été nommé par décret n°2017-228 du 06 décembre
2017, après avis du Conseil supérieur de la magistrature et ne pouvait
ainsi être démis que par un acte de même). Plus que jamais, une
vigilance constante des citoyens est nécessaire pour éviter les abus de
Macky Sall en matière de nomination, et le contraindre à se conformer à
la loi.
Seybani SOUGOU – E-mail : sougouparis@yahoo.fr