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Pr Arouna Coumba Ndoffene Diouf, chercheur et consultant sur l’économie sénégalaise : « Une gestion stricte et rigoureuse des finances publiques s’impose… »

Le passif financier hérité des régimes précédents est un lourd fardeau pour l’administration du Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye. L’État sénégalais devra honorer des échéances financières d’un montant de 1 200 milliards de FCA, un compte qui grimpera à 3 500 milliards de FCFA en 2025. Ce poids découle des gestions financières de toutes les  administrations passées, de Senghor à Macky Sall. Néanmoins, cette situation, bien que préoccupante, reste réversible, à condition que les autorités adoptent une approche rigoureuse, axée sur la transparence budgétaire, une gestion exemplaire des fonds publics et une réduction significative des dépenses publiques.

 Les nouvelles autorités ont entrepris un audit des finances publiques. Elles disent avoir relevé de graves irrégularités, selon un rapport de l’Inspection Générale des Finances (IGF). Quel commentaire pouvez-vous en faire ?

Je tiens à remercier les auteurs de m’offrir l’opportunité de m’exprimer sur des enjeux cruciaux pour notre pays. Il convient de rappeler qu’une résolution de l’UEMOA impose à tout nouveau régime de présenter un état des comptes publics dans les trois mois suivant son installation. Bien que ce délai ait été dépassé – les résultats ayant été publiés après six mois – cette situation demeure compréhensible dans un contexte marqué par la complexité de la gestion financière du Sénégal. Les résultats des audits devront encore être soumis à la Cour des comptes pour vérification et validation avant leur publication officielle. 

Le Premier ministre, Ousmane Sonko, a déclaré qu’un montant substantiel de fonds était entré dans le pays sous le précédent régime, sans traçabilité. Que pensez-vous de ces accusations ?

Les propos du Premier ministre dressent un tableau alarmant de l’état des finances publiques. Il a révélé que des fonds d’une valeur de 1 800 milliards de FCFA auraient été injectés dans l’économie sans qu’aucune traçabilité ne puisse en être établie. Une telle opacité est extrêmement préoccupante. Le gouvernement doit impérativement fournir des explications claires à la population sénégalaise quant à la provenance et à l’utilisation de ces fonds.

De plus, il a été signalé que 651 milliards de FCFA ont été dépensés sous forme de factures non justifiées, sans que les biens acquis ou services faits ne soient identifiés. Si ces dépenses n’ont pas fait l’objet d’un contrôle adéquat par les organes compétents, cela pourrait constituer une faute grave imputable à la précédente administration.

Cette déclaration a suscité des réactions, n’est-ce pas ?

Effectivement, ces audits, menés en conformité avec les recommandations de l’UEMOA, ont provoqué des réactions diverses, notamment parmi les partenaires financiers tels que le FMI et la Banque mondiale. Ces institutions ont salué cette initiative de transparence, et la Banque mondiale a même exprimé sa volonté d’appuyer le nouveau gouvernement une fois les audits validés par la Cour des comptes. Une telle transparence envoie un signal encourageant aux bailleurs de fonds et pourrait renforcer la crédibilité du Sénégal sur la scène internationale.

Cependant, la note financière du Sénégal a baissé. Pourquoi ?

Cette dégradation s’explique principalement par le passif laissé par le régime précédent. Il a été dit que la dette publique réelle atteignait 16 000 milliards de FCFA, soit bien plus que les 13 000 milliards officiellement annoncés. En plus, que le déficit budgétaire réel s’élève à 10 %, contre 5 % déclarés auparavant. De telles manipulations ont gravement faussé la perception de la santé économique du pays.

Qu’est-ce qui pourrait justifier de telles falsifications ?

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces irrégularités. Dès 2020, le Sénégal s’approchait de la limite d’endettement fixée par l’UEMOA à 70 % du PIB, seuil officiellement dépassé en 2021. Le régime sortant aurait pu être tenté de dissimuler la gravité de la situation pour continuer à accéder aux financements internationaux. Les bailleurs de fonds, rassurés par des chiffres artificiellement réduits, n’avaient alors aucune raison d’exiger des garanties supplémentaires.

Pourtant, le FMI ne peut-il pas vérifier la véracité des comptes publics ?

En théorie, les institutions financières internationales, y compris le FMI, ne disposent pas d’un pouvoir d’ingérence dans les comptes souverains des États. Elles se fondent sur les données fournies par les gouvernements locaux, car le Sénégal, en tant qu’État souverain, n’est pas tenu de soumettre ses comptes à un audit externe obligatoire par ces organismes.

Le nouveau référentiel économique est présenté comme prometteur. En quoi diffère-t-il des précédents ?

Ce référentiel met l’accent sur un développement endogène en plaçant le capital humain au cœur des priorités. Il vise à soutenir les populations les plus vulnérables, notamment les agriculteurs, les pêcheurs et les artisans, pour bâtir une base économique solide et inclusive. Inspiré des réussites des « quatre dragons » asiatiques (Taïwan, Singapour, Corée du Sud et Hong Kong), il ambitionne de favoriser un développement durable et équitable.

Pensez-vous que ce référentiel est porteur d’espoir pour le Sénégal ?

En théorie, ce référentiel constitue une véritable opportunité pour sortir le pays du cercle vicieux de la pauvreté. Cependant, la réussite de cette initiative dépendra largement de la qualité des institutions et de l’engagement des responsables politiques, car c’est dans la mise en œuvre que réside le véritable défi.

Quelle stratégie le régime actuel devrait-il adopter pour remédier à l’endettement croissant ?

Il est impératif de renforcer l’efficience dans la mobilisation des recettes fiscales et non fiscales. Par exemple, de nombreuses entreprises continuent de bénéficier d’exonérations fiscales injustifiées, tandis que d’autres échappent à leurs obligations fiscales.

En parallèle, l’exploitation pétrolière amorcée en juin dernier, avec une production initiale de 8,7 millions de barils, pourrait générer des revenus substantiels pour le budget national. D’ici 2025, une production quotidienne d’un million de barils est attendue. Ces ressources, intégrées à une réforme fiscale rigoureuse, pourraient significativement renforcer les finances publiques.

La situation est-elle réversible ?

Absolument. Bien que préoccupante, cette situation peut être redressée à condition que les autorités adoptent une gestion transparente et rigoureuse des finances publiques. Cela passe notamment par une réduction drastique des dépenses inutiles, telles que les déplacements coûteux ou les cortèges ministériels excessifs. Une rationalisation de ces pratiques permettrait de réaliser des économies significatives, tout en renforçant la productivité gouvernementale.

Avec les récentes visites diplomatiques du chef de l’Etat Bassirou Diomaye Diakhar Faye en Chine, en Arabie saoudite et en Turquie,  peut-on s’attendre à des retombées concrètes ?

Bien que ces déplacements aient permis d’esquisser des projets d’accords prometteurs, ceux-ci restent, pour l’heure, essentiellement des engagements de principe. Une gestion stricte et rigoureuse des finances publiques s’impose donc pour optimiser les retombées éventuelles. Chaque franc économisé devra contribuer à réduire la dépendance à l’égard de l’endettement, un héritage accablant laissé par les précédents régimes.

Le retour de Donald Trump au pouvoir constitue-t-il un sujet d’inquiétude ?

À mon sens, il n’y a pas lieu de nourrir d’inquiétudes excessives. Contrairement à certaines appréhensions exprimées, ce retour pourrait même comporter des aspects bénéfiques. Lors de son premier mandat, Donald Trump a démontré une capacité à réduire l’inflation et à stimuler la croissance économique des  États-Unis. L’histoire politique américaine révèle un cycle récurrent : les administrations démocrates, par leurs politiques fiscales, tendent à augmenter les taxes pour renforcer les réserves fédérales, mais ces charges, devenues trop lourdes pour les citoyens, ouvrent souvent la voie à une alternance républicaine, prônant une gestion plus libérale et une augmentation des dépenses publiques.

Par ailleurs, durant son précédent mandat, Donald Trump a fait preuve d’une audace remarquable, notamment face à la crise de la COVID-19. Il a mis en place des mesures ambitieuses telles que la distribution d’aides substantielles aux ménages américains et un soutien massif aux entreprises. Ces initiatives ont largement contribué à stabiliser l’économie américaine en dépit des bouleversements engendrés par la pandémie.

PAR JEAN-PIERRE MALOU ET SIDI BADJI

 

 

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