SOCIETE / FAITS DIVERS

LES « NAUFRAGÉS » DU PONT DE FARRAFENNI

« Le bonheur des uns fait le malheur des autres. » Le bac de Farrafenni confirme parfaitement cet adage. Si cette commune-carrefour en territoire gambien était un terreau fertile pour les commerçants, avant l’édification d’un pont sur le fleuve, aujourd’hui, ce n’est plus le cas avec la rareté des clients. Toutefois, les usagers de cette route qui mène au sud du Sénégal, disent être soulagés.

Lieu, jadis, très animé, aujourd’hui, c’est le calme plat au bac de Farrafenni, en territoire gambien. Le nouveau pont construit sur le fleuve Gambie n’a pas fait que des heureux. Si les chauffeurs de transport en commun et autres véhicules particuliers enjambent l’infrastructure en souriant, les marchands, gargotiers et tous ceux qui tenaient un business tout autour sont dans la nasse. Certains ont même abandonné, d’autres ont rejoint les prairies beaucoup plus fertiles. Même la méthode de travail a changé pour ceux qui ont choisi de rester.Il ne suffit plus d’avoir une table bien garnie pour s’en sortir, la tâche requiert maintenant une bonne aptitude physique. Il faut savoir courir pour être au rendez-vous dès qu’une voiture ralentisse afin pouvoir de proposer ses produits aux clients à bord. Ousmane Bousso travaille dans ce lieu depuis 25 ans. Il tenait une table bourrée de marchandises avant la construction du pont. Les clients venaient par des dizaines. Il se frottait bien les mains. « A vrai dire, nous faisions de bonnes affaires auparavant. Les passagers descendaient des véhicules pour venir acheter quelque chose pour la famille. Nous pouvions gagner jusqu’à 50.000 FCfa par jour. Aujourd’hui, nous avons du mal à avoir 15.000 FCfa. Les gens ne descendent plus, il faut savoir courir pour espérer vendre », se désole Ousmane Bousso.

Privilégier l’intérêt général

Ce pont, long de 1,9 km près de Farafenni, relie les deux moitiés de la Gambie, tout en permettant aux habitants du nord du Sénégal d’atteindre facilement la région naturelle de la Casamance au sud. Jusqu’à présent, la traversée du fleuve se faisait avec un ferry peu fiable ou il fallait prendre la longue route pour contourner la Gambie. Les chauffeurs de camions pouvaient passer des jours, et parfois une semaine, dans une file d’attente, pour traverser le fleuve. Ce qui signifiait une perte énorme de temps, souvent de biens et même quelquefois en vie humaine. Le vieux Lamine Ndiaye, 70 ans, en est un témoin oculaire. « J’ai vu un malade qu’on transportait vers le sud y laisser la vie du fait de la longue attente et de l’insouciance des autorités qui géraient le bac. Ses proches ont aussitôt rapatrié le corps à Dakar pour éviter qu’il ne se décompose. J’ai vu aussi des tonnes de mangues chargées dans un camion pourrir dans ce lieu. Son propriétaire, ne pouvant rien faire, s’est mis à pleurer comme un enfant. J’ai vu sur place du beurre chargé dans une camionnette se fondre progressivement sous l’effet de la chaleur du fait de l’interminable queue », révèle-t-il, le regard jeté dans le vide.
C’est pourquoi, selon lui, même si avec le pont son activité tourne au ralenti, il ne va pas s’en plaindre. « Il faut plutôt voir le nombre de Sénégalais, notamment du sud, et de Gambiens que ce pont soulage. Parfois, il faut laisser de côté nos intérêts égoïstes et privilégier l’intérêt général. C’est vrai que les choses ne marchent plus, on s’en remet au bon Dieu », estime le vieil homme.

Des usagers soulagés

Ousseynou, gère une gargote à la descente du pont, vers Soma, en terroir gambien. En plus, il vend du lait, du thé, de la mayonnaise, etc. Il en est à sa 15e année sur place. Cet originaire de Keur Ayib au Sénégal n’est nullement surpris par les mutations intervenues avec la construction de ce pont. « Il fallait vraiment être aveugle pour ne rien voir venir. Il y a deux ans de cela, lorsque mon fils a fini de mémoriser le coran et voulu me rejoindre ici, je l’ai déconseillé. Je lui avais dit d’aller à Dakar ou ailleurs, mais ce lieu n’avait plus d’avenir. L’histoire m’a aujourd’hui donné raison », dit ce cinquantenaire apparemment fier d’avoir épargné son fils de cette aventure. Selon lui, par le passé, les affaires marchaient très fort. Son restaurant de fortune était plein de gens à tout moment. L’argent y coulait à flot et en abondance. Mais tout cela n’est qu’un souvenir. Actuellement, seuls les « résistants » mangent dans sa gargote. Ce sont plus 200 personnes victimes du pont regroupées dans une association. Elles sont composées de Sénégalais, de Gambiens et de Guinéens. Ces impactés par le pont veulent être recasés dans un autre site où ils pourront poursuivre tranquillement leur business. Si les vendeurs broient du noir avec la construction du pont, les chauffeurs et autres usagers explosent presque de joie quand ils parlent de l’infrastructure tellement ils ont souffert du ferry. Keba Sarr est un chauffeur de camion. Il avait l’habitude de traverser le bac pour rejoindre la Casamance avec son lot de problèmes. « Vraiment, le pont nous a fait beaucoup de bien. C’était le souhait de tous ceux qui avaient l’habitude d’emprunter cette route qui a été exaucé. Nous avons beaucoup souffert du bac par le passé. Il m’est arrivé de faire la queue pendant une semaine pour pouvoir traverser. Sans compter les tracasseries dont nous étions victimes », se satisfait ce jeune camionneur.

Selon lui, le seul problème en ce moment, c’est le pont bascule où ils payent cher, chargé ou pas. « On paie à l’aller comme au retour. Avec mon camion, j’ai payé 65.000 FCfa. Je pense que cela doit être revu. Mais, pour le reste, il n’y a aucun problème », reconnait-il. Fallou Diouf, un jeune chauffeur de « 7 places », embouche la même trompette. Pour lui, avec le pont, il peut quitter Dakar le matin et déjeuner à Ziguinchor, ce qui était impensable à l’époque.

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