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Liban et Centrafrique, deux présidents au parcours similaire

Mondafrique

Aza Boukhris

Par sa capacité à rebondir et ses alliances suicidaires, le président centrafricain, Faustin-Archange Touadera  a quelques points de ressemblance avec Michel Aoun, le président libanais.

Certes les situations dans les deux pays n’ont rien de comparable. De même, le général libanais, par sa formation de militaire et sa carrière pleine de faits d’armes et de coups politiques, a peu de points communs avec l’universitaire centrafricain, dont les travaux en mathématiques lui avaient valu une certaine renommée au sein de la communauté scientifique africaine.

Tous deux élus en 2016, ont profité de la dégradation politique de leur pays pour accomplir une surprenante résurrection politique, tout en reniant rapidement leurs engagements de campagne et en nouant des alliances avec des ennemis qu’ils avaient pourtant combattus et qui ont pris en otage l’État et sa population. 

Élus malgré leur passé 

En octobre 2016, le chrétien maronite Michel Aoun a bénéficié des dispositions constitutionnelles et de la « paix des braves » dans sa communauté pour être élu président de la République par une majorité de députés de l’Assemblée nationale. Cela faisait trente mois que le Liban n’avait plus de chef de l’État officiel. Au 46 ème tour de cette élection présidentielle, la lassitude n’était pas absente dans ce choix des députés..

Quant à Faustin-Archange Touadera, il avait réussi à se qualifier pour le second tour devant une trentaine de candidats qui squattaient le pouvoir depuis de nombreuses années. C’était déjà une performance pour l’ancien premier ministre de François Bozizé. Quant à son exceptionnelle  » remontada », au second tour de février 2016,q   contre Anicet-Georges Dologuélé, elle reste une énigme pour les observateurs de la vie politique du pays.

L’onction de l’ONU

Les deux nouveaux présidents ont aussitôt fait le contraire de leurs slogans de campagne, c’est-à-dire qu’ils ont laissé prospérer la corruption, le népotisme, le clientélisme et remis aux calendes grecques les projets de réforme. La privatisation des moyens de l’État s’est poursuivie, voire même accentuée.

Tout cela avec la présence imposante de l’ONU qui maintient, depuis 1978, à la frontière avec Israël au sud-Liban, la FINUL avec ses 14 000 Casques bleus et en Centrafrique, la  MINUSCA, depuis 2014, avec ses 13 000 Casques bleus. L’ONU garantit le statu quo dans ces deux pays où l’État est devenu une fiction.

Deux résurrections politiques

Les deux chefs d’État ont accédé à la tête de l’Etat, après une période durant laquelle ils avaient été quasiment bannis de la classe politique. Qui aurait pu croire à leur destin présidentiel, alors qu’ils avaient trouvé refuge au sein d’une chancellerie diplomatique, pour être ensuite exfiltrés en France pour un exil qui avait toutes les apparences d’une mort politique ? 

Durant dix mois (1990-1991), Michel Aoun avait dû se réfugier au sein de la Résidence des Pins, la résidence de l’ambassadeur de France, à Beyrouth. Les journées devaient être longues pour ce confinement lui permettant d’échapper à la justice de son pays. Il fut finalement exfiltré, dans des conditions rocambolesques, vers la France, en promettant de se retirer de la politique.

Le serment fut tenu jusqu’à son retour au Liban, en 2005, soit après quinze années passées en France. Jouant habilement des divisions de la classe politique libanaise allant de perpétuels mouvements antagonistes à des coalitions éphémères, le général Aoun put réussir un come back, confirmant l’adage qu’ « en politique on ne meurt jamais ».

Il en fut de même pour Faustin-Archange Touadera qui eut une « traversée du désert » beaucoup plus courte. N’ayant pu fuir son pays,  comme François Bozizé, après le coup d’État des ex- Seleka, et comme la justice se rapprochait des actes de sa gouvernance, durant les cinq années à la Primature (2008-2013), Faustin-Archange Touadera a dû son salut dans l’hospitalité de l’ONU, dans son emprise diplomatique ( Binuca) de Bangui. Le vice-président du KNK échappa aussi aux sanctions onusiennes qui frappèrent, en revanche, François Bozizé, le président du KNK. Après plusieurs mois de réclusion, il fut, comme le général Aoun, exfiltré vers la France pour retrouver son université lilloise où il avait conservé quelques attaches. Qui aurait pu imaginer un retour en politique de ce professeur manifestement éloigné définitivement du marigot centrafricain ? Ce n’était pas l’avis de son clan tribalo-affairiste et de quelques « flibustiers » étrangers.

Deux pactes avec les fossoyeurs de leur pays

En prenant en compte leur passé, lorsque Michel Aoun et Faustin-Archange Touadera étaient jadis aux affaires, on aurait difficilement imaginé qu’ils auraient pactisé un jour avec leurs anciens pires ennemis. Pour Michel Aoun, avec le Hezbollah pro iranien et allié du syrien Bachar el-Assad, qu’il avait combattu et inversement, qu’il aurait rompu avec ses anciens compagnons de lutte, les chrétiens maronites.

Pour le président Touadera, ce fut l’alliance contre nature avec les groupes armés musulmans de l’ex-Seleka qui avaient renversé le régime de François Bozizé et inversement, la rupture frontale avec le KNK et les anti balaka.

Ce total renversement d’alliance, suicidaire pour leur pays, a été acté par des accords en bonne et due forme, exaspérant davantage la plupart des citoyens de leur pays. Ce fut l’accord de Chiyah du 6 février 2006 avec le Hezbollah et l’Accord de Khartoum, signé le 6 février 2019 à Bangui, avec les groupes armés qui contrôlent les trois quarts du pays. Grâce à son alliance avec le Hezbollah, Michel Aoun a pu être élu à la tête de l’Etat et se maintenir au pouvoir. Avec l’Accord de Khartoum, Faustin-Archange Touadera avait cet objectif qu’il est en passe de réussir. La question reste posée : peut-on longtemps duper son peuple et gouverner en associant des ennemis de la nation et des liquidateurs de l’État ?

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